Avec Zerozerozero, la dream team Stefano Solima / Roberto Saviano reproduit la recette de Gommorah : le premier adapte en fiction télévisuelle un roman documentaire du premier.
Ici c’est le bouquin Extra-Pure sur le trafic international de cocaïne qui fait aussi de matériau de base et ce choix se comprend tant il offre un nombre de possibilités quasi-infinies en termes de scénario.
En effet, la série entreprend de suivre le trajet d’un important chargement de cocaïne depuis l’Amérique Latine jusqu’à l’Europe en mettant en scène les vendeurs (un cartel Mexicain), les acheteurs (des Mafieux Calabrais) et les intermédiaires (une famille d’armateurs de la Nouvelle-Orléans).
C’est évidemment là une des grandes qualités de la série : la multiplicité des points de vue et des environnements au sein d’un même épisode, qui agit comme un reflet de la mondialisation et des travers du capitalisme sauvage.
Zerozerozero utilise ce dispositif narratif avec brio et demeure toujours cohérente même si elle abuse un peu de certains effets de styles…On pense notamment au procédé de mise en scène qui annonce les changements de point de vue qui est un vecteur de suspense efficace mais qui fonctionne de moins en moins à mesure que le récit avance.
Néanmoins, on reste quand même absorbé par cette intrigue qui nous transporte aux quatre-coins du monde tout en évoquant en filigrane la réalité géopolitique propre à chaque lieu traversé sans faire preuve de didactisme ni de bienpensance.
A ce titre, si certains protagonistes paraissent archétypaux (les mafieux Italiens en tête) de prime abord, la série refuse tout manichéisme et l’écriture est plus subtile qu’elle n’y paraît. Viennent en témoigner le traitement de l’Afrique subsaharienne (pas filmée comme un vulgaire cloaque ni caricaturée et ça, ça fait un bien fou !), celui des djihadistes d’AQMI et surtout la caractérisation ambiguë du narcos en devenir campé par le génial Harold Torres (un acteur Mexicain magnétique dont la carrière devrait prochainement exploser).
Ce tableau nihiliste (la cargaison avance inexorablement pendant que les hommes tombent) est sublimé par une mise en scène d’une facture cinématographique qui place Zerozerozero très au-dessus du tout venant des séries.
Ainsi, les familiers du style Solima (auteur rappelons-le des excellents ACAB, Suburra et Sicario 2) ne seront pas dépaysés : photographie léchée, caméra constamment en mouvement (les amateurs de plans séquences seront servis), morceaux de bravoure spectaculaires, fascination pour la chose militaire (ce n’est pas pour rien que Solima a été attaché à l’adaptation de Call of Duty), utilisation régulière des ralentis et musique électro entêtante signée Mogwaï… Cet ensemble formel confère à la série une atmosphère unique et quasiment hypnotique, un peu comme dans Gommorah mais de manière décuplée, grâce entre autres à des décors impressionnants et brillamment filmés (le Sahara, les montagnes calabraises, une mégapole américaine, Dakar, etc.)
Zerozerozero mène donc habilement sa barque vers un dénouement doux-amer qui conclut définitivement l’histoire (la série a été pensée comme une anthologie avec des saisons indépendantes les unes des autres) et le voyage s’avère captivant de bout en bout.
Cependant, on émettra une petite réserve sur les différents arcs narratifs qui ne se valent pas tous et j’ai personnellement trouvé que l’arc Mexicain qui dépeint l’ascension d’une organisation criminelle très inspirée du tristement célèbre cartel des Zetas, était le plus réussit.
Toutefois, cette opinion est purement subjective et Zerozerozero reste une excellente série, portée par des interprètes impeccables (Torres of course mais les autres font le job, y compris les stars hollywoodiennes même si Dane De Haan est dans un rôle trop attendu) et par une facture technique exceptionnelle qui témoigne de l’abolition de la frontière entre le 7ème art et la télévision / streaming.