La déconstruction du polar

C’est incroyable comment Mario Vargas Llosa condense tant de matériaux sur si peu de pages dans Qui a tué Palomino Molero? Il y a d’abord cette enquête retorse sur le meurtre d’un jeune homme de quatorze ans où le lieutenant Silva et le sergent Lituma( couple de gendarmes péruviens aussi dissemblables que le sont Laurel et Hardy) vont s’embourber et pénétrer dans les arcanes les plus sombres du genre humain.Ce ne sont plus deux enquêteurs qui décèlent avec maestria la vérité accablante mais deux représentants de la loi s’approchant de la résolution sans complètement la cerner. C’est le coup de génie central de cette œuvre récente de Vargas Llosa où il revendique une déconstruction du polar remarquable et assumée. En toile de fond, la hiérarchie sociale entre les Blancs et les gringos, ceux qui palabrent et paraissent face aux autres qui jacassent et font leurs vies sans exister à priori ( permettant toute une galerie de personnages singuliers dans le microcosme de Talara). L’écrivain péruvien a le ton âpre mais il décrit bel et bien une réalité commune à de nombreux pays sud-américains.Ensuite, cette histoire est également l’occasion d’esquisser des traits de médiocrité masculine face à la sexualité ( que représente la jeune Alicia Mindreau, confrontée à première vue aux abus et à l’amour par trois hommes qui sont son père, son fiancé officiel et ce jeune prétendant malheureusement trop audacieux). Doña Adriana, étant un habile contrepoint en objet du désir sexuel du Lieutenant Silva, venant parasiter son appréciation objective de l’enquête sur le Colonel Mindreau et le fait défaillir à son tour.Pour finir, un goût prononcé de Vargas Llosa pour les descriptions et les atmosphères où le lecteur peut être témoin de sa prédilection pour l’écriture à la française, à laquelle il rend hommage avec gourmandise. L’épilogue brutal statue sur le fait qu’il ne faut pas faire de vagues car le couperet obtus de la société tombe pour ceux qui la défient. Ce livre remarquable et sondant les tréfonds de l’âme humaine est donc plus qu’une découverte, mais une gifle car le monde est tout sauf innocent.

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le 27 avr. 2025

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