Cordes sensibles
La recherche de l'harmonie dans sa propre vie est déjà une tâche épuisante mais que dire de celle qui doit régner entre quatre musiciens chargés de jouer dans un quatuor éphémère, avec chacun un...
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le 8 mai 2025
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Pour son troisième long-métrage et après son très bon Les Parfums en 2020, Gregory Magne s’immerge cette fois-ci pleinement dans l’univers de la grande musique, des luthiers et des virtuoses, sans rien laisser au hasard. Adepte des titres simples, il sait nous embarquer dans une comédie humaine grinçante et sans concession. Heureusement accessible aux non-mélomanes, elle offre des situations volontiers burlesques et jubilatoires, sans tomber dans les travers du film comique.
Réussissant la prouesse de réunir quatre authentiques Stradivarius et fidèle aux vœux de son père, grand industriel mélomane disparu, Astrid la mécène fait appel à quatre immenses talents reconnus du monde des instruments à cordes pour enregistrer un concert unique, sur une partition inédite d’un compositeur contemporain méconnu.
Le réalisateur entretient avec habileté le suspens, car de sa réussite, et des droits qui en découleront dépendra la rentabilité de cette opération très coûteuse, comme le souligne à plusieurs reprises le frère d’Astrid, sur les épaules de qui repose la fragilité financière du groupe familial.
Innombrables sont les films qui traitent de musique, dont de nombreux biopics, mais très peu sont axés sur la rencontre et les échanges entre les interprètes et le compositeur, ce qui donne au film une originalité et un intérêt indéniables. La réussite est aussi de faire appel à une superbe musique écrite pour le film par Grégoire Hetzel (compositeur de référence dans le cinéma), avec une mélodie inconnue du spectateur pour éviter d’en être le cœur, mais dont les mouvements complexes de musique classique moderne donnent un vrai attrait à la préparation du concert.
Le quatuor de la discorde
Il ne suffit pas de posséder et bichonner quatre des meilleurs instruments du monde, ni de recruter quatre grands virtuoses du moment aux égos démesurés, pour les faire jouer ensemble comme s’ils ne faisaient qu’un, constitue un pari auquel Astrid va s’atteler coûte que coûte. Ils ont sept jours pour y arriver, dans un compte à rebours affiché à l’écran par Gregory Magne, apportant rythme et incertitude au scénario.
Astrid est impeccablement interprétée par Valérie Donzelli, déterminée et enjouée, dont on reconnaît le talent de réalisatrice (avec son excellent L’Amour et les Forêts), à travers sa capacité à faire comme si elle dirigeait le film. Elle montre ainsi sa capacité à convaincre le compositeur de venir pour mettre au diapason les musiciens, qui ne sont absolument pas d’accord sur la façon d’exécuter la fameuse partition qu’ils découvrent.
Parmi les quatre artistes, tous interprétés par de véritables musiciens, trois ont été recommandés par le père d’Astrid, tandis qu’Apolline (alto) est sélectionnée par Astrid sur la base de sa célébrité sur les réseaux sociaux, une joueuse intuitive qui n’a pas fait le parcours classique des conservatoires, ce qui déplaît bien sûr aux autres. Elle est surtout prise à partie par George, arrogant et inable 1er violon, le seul incarné par un acteur connu, en la personne du jeune et fougueux Mathieu Spinosi, dirigé pour en faire des tonnes.
Le compositeur, humble et humain
Lorsque Charlie Beaumont, ce compositeur solitaire inspiré par le chant des oiseaux, se décide enfin à venir à reculons dans la grande demeure familiale pour tenter d’harmoniser les musiciens lors de leurs répétitions, il semble désabusé et plein de doutes sur cette musique composée il y a 30 ans.
Et pourtant, sous les traits de Frédéric Pierrot, cet acteur mélomane, attachant et terrien, que Valérie Donzelli avait dirigé dans son long-métrage Marguerite & Julien en 2015, Charlie apporte sa grande humanité, dans une modestie à l’opposé du comportement hautain des musiciens.
A l’écoute de tous, il arrive notamment à comprendre le différend relationnel qui oppose Lise (violoncelliste) et Peter (2ème violon), les mettant sur la voie d’une fragile réconciliation. Canalisant l’énergie de tous, y compris celle de George et Apolline qui continuent de se chamailler, on le voit jouer le rôle d’un vrai chef d’orchestre, enchaînant les répétitions et délivrant enfin la vision de sa partition. Dès lors, il crée les conditions d’un rapprochement musical et une alchimie propice à harmoniser le quatuor, alors qu’il prétend lui-même qu’il faut des dizaines d’années pour former un quatuor qui fonctionne.
Un ensemble d’une grande justesse
Le scénario comporte quelques rebondissements mais globalement l’intérêt du film est plutôt dans la mise en scène des répétitions en donnant la part belle à la musique, aux affrontements entre musiciens et à l’apport déterminant du compositeur, dans une expérience immersive qui sonne juste. Il est dans la musique comme dans toute société : les personnalités sûres de leur excellence tentent de dominer les autres, le réalisateur le met bien en évidence, non sans humour et sarcasme. Une vraie comédie humaine où chacun en prend pour son grade.
Globalement le jeu d’acteurs est excellent, tous choisis pour leur connaissance de la musique, accompagnés par une Valérie Donzelli qui fait mouche. Et même si ce n’est pas central, le réalisateur aborde avec acuité la question du difficile mécénat des entreprises, qui résonne plutôt bien dans le contexte économique actuel.
Ce film agréable est à voir pour la confrontation, pas si fréquente, entre les musiciens et le compositeur de la partition, avec un Frédéric Pierrot très crédible, et son souci du détail quand il analyse l’acoustique des lieux du concert et le meilleur endroit où se placer. Et quoi de plus beau que de filer la métaphore avec une nuée d’étourneaux pour expliquer la beauté de sa musique ?
Critique ma complète à voir sur le Mag du Ciné !
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le 14 mai 2025
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