Pas de vagues
5.8
Pas de vagues

Film de Teddy Lussi-Modeste (2024)

Voir le film

La société aux trousses

Professeur de lettres, acteur et réalisateur, Teddy Lussi-Modeste nous offre avec ce film son troisième long-métrage, issu d'une fait réel qui lui est arrivé en 2020 : alors qu'il enseignait en Seine-Saint-Denis, il fut accusé à tort de harcèlement sexuel par une de ses élèves de 13 ans.

Cette réalité, bien évidemment librement adaptée dans le film, en fait une "fiction" édifiante sur l'état de notre société en général et le rôle central de son école en particulier, en faisant écho à des événements récents tragiques pour des professeurs et des responsables d'établissement.

Le réalisateur met ainsi en scène un jeune enseignant de français, Julien, très beau garçon, qui a cette vocation et candeur de croire qu'il peut aider ses élèves de 4ème en établissant des liens particuliers pour mieux les connaître et ainsi leur apporter les moyens de développer leur personnalité et forger leur avenir, une aide dont il a bénéficié dans sa jeunesse.

Hélas, par son inexpérience, il va trop loin, sans s'en rendre compte, en étudiant Ronsard, avec les thèmes de l'amour et de la séduction, puis en invitant à déjeuner un sous-groupe de ses élèves méritant, ce qui suscite la jalousie, et surtout avec des paroles équivoques auprès de la jeune taiseuse et timide Leslie; manipulée par ses camarades, cette dernière l'accuse de harcèlement sexuel dans une lettre envoyée à la direction de l'école.

Julien et Leslie se retrouvent ainsi enfermés dans un engrenage et dans une situation explosive qui leur échappe; Teddy Lussi-Modeste le traite astucieusement comme un thriller angoissant et sous tension, hors et entre les murs du collège, ce qui provoque un sentiment de malaise croissant tout au long du film, d'autant que le jeune professeur a "oublié" d'évoquer ses orientations sexuelles et qu'il est menacé de toute part.

Pour incarner Julien, François Civil est tout simplement fabuleux, pour moi une révélation et l'un de ses meilleurs récents rôles (bien mieux que dans En Corps ou Les 3 Mousquetaires et Milady), à tel point qu'il semble avoir coconstruit son personnage avec le réalisateur; il habite ce rôle avec spontanéité, sensibilité et émotion, à la hauteur des enjeux et des situations délicats du film.

Parmi les autres acteurs, je mettrais en avant les collégiens de cette classe perturbée, superbement bien dirigés et crédibles dans le film; évidemment le réalisateur a pu profiter de son expérience de professeur.

Teddy Lussi-Modeste convoque avec justesse dans son film nombre des problèmes que notre société et son école traversent avec douleur actuellement, et pas que dans les milieux dits défavorisés:

- L'interrogation, à l’heure de #metoo, sur le rapport que nous entretenons avec la parole des victimes de harcèlement sexuel, ainsi que celle des agresseurs (comme adressé dans Les Choses Humaines d'Yvan Attal);

- La grande difficulté de l'école à jouer son rôle d'éducation, avec des élèves désorientés qui forment des clans qui s'affrontent;

- La solidarité des collègues enseignants fortement mise à l'épreuve et qui s'effrite lorsqu'un problème de ce type survient, même lorsqu'il est évident que l'accusation est sans fondement;

- La trouille du proviseur dont la seule motivation est "Pas de Vagues", pour éviter toute mauvaise notation qui l'empêcherait d'aller dans un meilleur établissement, lui faisant oublier qu'il peut et doit défendre son professeur;

- La défaillance des familles dans leur rôle éducatif, qui accusent volontiers l'école de ne pas remplir son rôle; ici le frère de Leslie, son tuteur, une menace terrible pour Julien, mais aussi pour Leslie qui ne pourra jamais lui avouer qu'elle a fait une erreur;

- Le rôle d'amplification des réseaux sociaux, qu'on peut qualifier plutôt d'asociaux, et qui gangrènent notre société en isolant les individus et en menaçant leur capacité d'intelligence et de discernement;

- La difficulté d'assumer les orientations sexuelles LGBT, malgré les beaux discours à ce sujet;

- Le manque de soutien de ses proches quand on vit une telle situation, et l'isolement dans lequel on se trouve;

- Et même dans le film la police qui dissuade le jeune professeur de porter plainte par ce que ce serait difficile à gérer !

Un film qui dérange, précisément parce qu'il est inspiré d'un fait réel, qui nous oblige collectivement à réagir pour améliorer notre société, et la condition de cet enseignant à l'avenir incertain, sans oublier celui de Leslie, car ils sont tous les deux victimes de cette histoire.

Une très belle surprise, à voir sans hésiter, un des meilleurs films de ce premier trimestre 2024 !

7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films avec François Civil

Créée

le 31 mars 2024

Critique lue 1.5K fois

36 j'aime

16 commentaires

Azur-Uno

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

36
16

D'autres avis sur Pas de vagues

Se rapprocher du vrai, est-ce faire du cinéma plus juste ? (Vous avez quatre heures...)

Hasards du calendrier (sûrement), il aura fallu que ce Pas de vagues sorte seulement trois semaines après La salle des profs d’Ilker Çatak.Pas de chance pour notre présent film qui, de par son sujet...

le 27 mars 2024

43 j'aime

28

La société aux trousses

Professeur de lettres, acteur et réalisateur, Teddy Lussi-Modeste nous offre avec ce film son troisième long-métrage, issu d'une fait réel qui lui est arrivé en 2020 : alors qu'il enseignait en...

Par

le 31 mars 2024

36 j'aime

16

Ouin Ouin

1. On a que la version des faits du mec2. Instrumentalisation de l'homosexualité3. Racisme 4. Sexisme évidemment ! Pourquoi se cantonner à des accusations de propos inappropriés et ne pas faire...

le 1 avr. 2024

23 j'aime

Du même critique

Ces mots qui réparent

Jeanne Herry, la réalisatrice de l'excellent film Pupille (2018), nous propose ici un long métrage très intéressant sur le thème original de la justice restaurative, reprenant 3 de ses acteurs...

Par

le 30 mars 2023

42 j'aime

30

La société aux trousses

Professeur de lettres, acteur et réalisateur, Teddy Lussi-Modeste nous offre avec ce film son troisième long-métrage, issu d'une fait réel qui lui est arrivé en 2020 : alors qu'il enseignait en...

Par

le 31 mars 2024

36 j'aime

16

Sang pour sang

Pour son premier film, le réalisateur Julien Colonna, fils du célèbre "Jean-Jé" Colonna, parrain présumé du Milieu Corse dans les années 70, nous offre une fiction puissante et intime sur les...

Par

le 17 nov. 2024

33 j'aime

3