Disclaimer : cette critique porte sur l'ensemble de l'anime Shingeki no Kyojin et pas seulement sur la première saison. Elle est donc susceptible de vous spoiler :)
Comme ça m'arrive parfois, je vous propose un morceau choisi pour accompagner sa lecture, "L'avenir est un long é", de Manau : https://www.youtube.com/watch?v=rlqvaI38mz8
Commencé il y a une dizaine d'années, quelques temps après sa sortie tonitruante, je viens enfin de clore l'une des pages les plus populaires de l'anime au XXIème siècle. Manga austère et - ai-je trouvé à la lecture des premiers chapitres - assez moche sur le papier, l’œuvre de Hajime Isayama a trouvé dans son adaptation télévisuelle un souffle épique qui a largement fait sensation et qui rappelle les trajectoires du Seigneur des Anneaux ou de Game of Thrones. Formellement, la série Shingeki no Kyojin brille moins par son dessin convenu et pauvre (design des titans excepté), sa colorisation terne et une animation 3D poussive que par son explosivité ponctuelle qui fait parfaitement écho à l'originalité de son contexte diégétique et une bande-son assez réussie. A première vue, sur le fond, le manga comme l'anime (qui lui est fidèle) reprennent classiquement les codes éculés du Shōnen : camaraderie et héroïsme en valeurs cardinales, incarnées par de tous jeunes adolescents sans parents qui se répartissent des archétypes de caractérisation plutôt convenus (le héros torturé, le leader charismatique, la prétendante cachée, le faible ingénieux...) et refoulent leurs sentiments dans une pudeur toute nippone.
Mais très vite, SNK fait entendre sa singularité. L'épisode pilote concentre d'ailleurs les qualités de l’œuvre à venir, qui lui apporteront son indéniable succès : violence crue et spectaculaire, ambiance désespérée, abandon total des personnages dans leur lutte, rythme soutenu partagé de manière équilibrée entre dévoilement compté des dessous d'un univers mystérieux, caractérisation progressive des personnages, scènes d'action virevoltantes et manigances politiques. L'écriture de l'intrigue est particulièrement réussie car, même si elle s'appuie des motifs classiques (flashbacks, changements de point de vue narratif...), elle parvient à faire fonctionner un récit à tiroirs jouissant d'une explicitation globalement fluide des enjeux et des hypothèses. Il n'y a bien que la fin de l'anime qui, complexité grandissante et mal gérée de l'intrigue oblige, s'égare dans un didactisme à la fois excessif et confus.
A mesure que le mystère qui entoure l'origine et les mobiles des titans se dissipe, Hajime Isayama articule un propos beaucoup plus profond que ce que ne laissait présager les premières saisons. Il esquisse puis dévoile une véritable critique du nationalisme, du repli sur soi et du cercle infini de violence que la haine et la peur nourrissent. Loin des pontifiants discours, dont la fin de série est émaillée de quelques inévitables scories, il introduit son propos dans le destin même de ses personnages, aux prises avec des convictions, des ordres et des nécessités antagonistes. Cette bataille intérieure pour la survie et l'humanité est proprement tragique. Elle constitue ce qu'il y a de plus réussi dans ce manga qui explore avec beaucoup de réalisme les logiques populistes et xénophobes des discours politiques et démonte les véhicules de perpétuation de la haine que sont l'éducation et les institutions.
Comme beaucoup de mangas d'ailleurs - on ne peut s'empêcher de penser plusieurs fois à Fullmetal Alchemist ou à Last exile - SNK se nourrit en cela de l'histoire du Japon impérialiste et de l'Allemagne nazie. Cette manière pour un média aussi populaire et destiné à un public jeune d'examiner son é nous est encore inconnue en : quelle production pour ado hexagonale interrogerait aujourd'hui avec autant de succès et d'esprit critique notre rapport à notre ancien empire colonial, la collaboration dans les génocides de la seconde guerre mondiale ou notre responsabilité dans l'esclavage ? Certes, en cherchant à donner à son œuvre une originalité dans le traitement de ces sujets, la série finit par s'enfoncer dans des élucubrations inutilement complexes, mais cela n'enlève rien à la force de son propos et à la détermination des personnages principaux à faire advenir, d'une situation chaotique et désespérée, un monde meilleur fondé sur la tolérance. A l'heure où le gouvernement israélien fomente l'éradication du peuple palestinien, la violence des images de SNK et la puissance de son appel ont un écho douloureux, nous rappelant que l'avenir n'est qu'un long é.