Ce roman signé Stephen Dixon sent le vécu. En effet, la courte présentation éditeur précise que l’auteur a exercé, entre autres activités, celles de professeur de lycée, barman, modèle et journaliste. Devenu enseignant à l’université John Hopkins, il a été lauréat de plusieurs prix littéraires, notamment pour ses nouvelles. La critique américaine apprécierait ses intrigues urbaines et son style nerveux.
En effet, Claude le narrateur cherche d’abord du travail comme enseignant intérimaire et comme acteur, même pour des publicités. Tout cela ne donnant pas grand-chose, il se décide à chercher un emploi à temps plein. Ce sera comme barman dans une gargote newyorkaise où il côtoie aussi bien le personnel que la clientèle.
Les nombreuses péripéties nous permettent de sentir les préoccupations des protagonistes. Au travail de Claude, cela va de la volonté de celui qui lui présente les lieux de les maintenir dans un état irréprochable à une enquête qui met tout le personnel sous pression, car il y a eu des vols dans le stock de marchandises.
Claude lui-même se trouve sur le grill alors qu’il avait remarqué la disparition du jour au lendemain d’une bouteille de cognac dont il avait demandé l’acquisition pour l’élaboration de cocktails spéciaux. Et puis, Claude a compris que pour gagner sa vie, il ne peut pas se contenter de son travail au bar. Il obtient donc la charge de quatre tables où les clients peuvent s’installer pour manger. Outre un plus sur sa paie, cela lui rapporte aussi des pourboires. Cela implique aussi du temps à consacrer aux clients, car il a bien compris qu’ici le client est roi. Il faut donc l’écouter et pas seulement. Cela va de la participation aux multiples sujets de conversation possibles (donc se maintenir au courant de l’actualité) à la réponse aux innombrables caprices qui peuvent surgir à tout moment. Cela nous vaut d’ailleurs un moment particulièrement savoureux quand Claude se voit contraint plusieurs fois consécutives de revenir des cuisines pour annoncer à un client une regrettable rupture de stock le mettant dans l’impossibilité de lui donner satisfaction. Et cela vaudra une remarque de son supérieur à Claude, suite au mécontentement du client.
Stephen Dixon se montre donc à son affaire pour retranscrire l’ambiance si particulière de l’établissement où Claude exerce. C’est intéressant, car le roman a une valeur de témoignage ethnologique révélateur de l’état d’esprit régnant à New York dans les années 70 (parution initiale aux États-Unis en 1977). Il est difficile de trouver un emploi et quand on en a un, il faut se soumettre à certaines règles tacites, car une erreur est si vite arrivée. On observe ainsi qu’il existe un turnover important parmi le personnel de l’établissement, y compris pour le gérant. Et, l’établissement faisant partie d’une chaîne, un employé peut être affecté sans prévenir dans un autre établissement de la chaine, à l’autre bout de la ville. On comprend donc pourquoi l’état d’esprit est tourné vers le chacun pour soi. Bien entendu, la journée ménage des temps forts et d’autres plus calmes, ce qui nous vaut quelques discussions sur les préoccupations des uns et des autres, leurs façons de chercher à s’affirmer, de marquer leur territoire dans cette jungle urbaine en modèle réduit.
Il faut quand même savoir que si le style de Stephen Dixon s’avère effectivement nerveux et sans fioritures, ce roman de 225 pages est prévu pour être lu d’une seule traite, car il ne comporte pas de chapitres, ni quasiment d’espaces entre paragraphes pour marquer le age à une nouvelle situation. Cela présente un réel inconvénient, car plusieurs fois on réalise après quelques phrases, que la narration est ée d’un lieu à un autre sans prévenir. C’est flagrant un soir que Claude fait un age dans une boîte de nuit où il assiste à un fait divers, puis se retrouve à nouveau à son travail sans la moindre transition. Ajoutons à cela que les préoccupations des uns et des autres ne volent pas bien haut, tout préoccupés qu’ils sont par cet emploi auquel ils s’accrochent.
Tout ceci se trouve condensé dans cette réplique « Tenir un bar, ce n’est pas seulement mélanger des cocktails. C’est dire quelle belle journée. C’est leur confirmer que le score a été de huit à quatre. C’est faire souvent des heures supplémentaires. C’est ramasser des pourboires. C’est apaiser les âmes. »