Une heure de ferveur
6.2
Une heure de ferveur

livre de Muriel Barbery (2022)

Une heure de ferveur

Alors que, malade et retiré dans un temple de sa ville de Kyoto pour s’y éteindre en paix, le vieil et riche Haru laisse sa vie lui revenir à grands traits, force lui est de constater que celle-ci n’a finalement jamais tenue qu’à trois fils : son goût pour la beauté des choses qui a fait de lui un marchand d’art ; l’amitié qui l’a indéfectiblement lié au petit groupe gravitant autour de Keisuke, l’artiste à l’origine de sa vocation ; enfin son amour sans partage – au propre comme au figuré – pour sa fille Rose, née d’une brève liaison avec une Française dépressive de age au Japon, et qui, rentrée chez elle, l’a maintenu à jamais éloigné de leur enfant par son chantage au suicide.


Après Une rose seule, le premier volet initiatique de son dyptique japonais, consacré à Rose et à sa métamorphose lorsqu’elle découvre le pays de ses origines suite à une lettre laissée après sa mort par un père qu’elle n’a jamais connu, Muriel Barbery explore cette fois le point de vue paternel, dans une anamnèse qui reconstitue et éclaire le parcours de cet homme. Charnière entre les deux romans, la lettre qui devait ouvrir le futur de Rose vers sa part japonaise, a ici le rôle inverse de ramener Haru au é, juste avant de clore son existence.


Familière du Japon après deux ans és à Kyoto, l’auteur fonde son récit sur cette particularité de la pensée nippone qui lui fait toujours partir de la surface des choses, du visible et du concret, pour tenter d’appréhender les concepts. Au Japon, l’idée naît de l’image, quand en Occident, l’image suit le concept. Ainsi, il faudra longtemps à Haru, fasciné par la forme et la beauté des choses – le Japon est le pays par excellence de la recherche de perfection –, et, croit-il, satisfait d’une vie légère, sans attachement profond ni souf, pour réaliser, à partir de l’éblouissement d’une paternité pourtant empêchée, les profondeurs essentielles de son être, bien cachées derrière le rassurant vernis des apparences.


Dans sa souf de ne pouvoir jouer son rôle de père, c’est l’image du tsunami, déclenché par un séisme dont la faible profondeur n’a pas atténué les ondes, qui lui fait prendre conscience qu’à demeurer à la surface des sentiments et des relations, l’on subit avec d’autant plus de virulence les remous demeurés dans les profondeurs inconscientes de l’être. Alors, même s’il en est réduit à observer sa fille à distance par l’entremise discrète du photographe qu’il a engagé, rien ne l’empêchera de trouver le moyen de lui transmettre sans retour son amour, en un démenti des apparences de vide et d’absence de leur invisible relation.


Mieux vaut une petite expérience de la culture nippone, à tout le moins quelque dextérité intellectuelle, pour apprécier le sens de ce roman jusque dans ses moindres détails. Entravée par ce léger manque de limpidité, l’émotion ressentie n’est pas totalement à la hauteur de cette histoire d’altérité à première vue insurmontable mais pourtant si subtilement transcendée. Un peu comme les splendides poteries dont est si friand l’amateur d’art Haru, les livres de Muriel Barbery sont des bijoux de maîtrise, d’intelligence et d’esthétisme, mais ils séduisent peut-être un peu trop l’esprit au détriment du coeur.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

6
Écrit par

Créée

le 28 oct. 2022

Modifiée

le 28 oct. 2022

Critique lue 197 fois

3 j'aime

4 commentaires

Cannetille

Écrit par

Critique lue 197 fois

3
4

D'autres avis sur Une heure de ferveur

Tout tient à une fleur

Tout d'abord, je dois avouer que la lecture de ce roman ne m'a pas toujours été simple et ne pense pas en avoir compris toutes les subtilités. J'ai, cependant , le goût de la littérature japonaise...

Par

le 21 mars 2025

1 j'aime

Critique de Une heure de ferveur par Stephane Gallais

📚En avril paraissait en poche dans la collection Babel le roman Une heure de ferveur de Muriel Barbery, précédemment édité chez Actes sud en 2022. C'était l'occasion pour moi de retrouver cette...

le 30 avr. 2024

Critique de Une heure de ferveur par AMqt

"– Qu'est-ce qu'un homme ? – C'est d'abord une solitude." page 227/228Un roman rempli d'intelligence et d'esthétisme pas facile à apprécier si on ne connait pas un minimum de la culture nippone. Un...

Par

le 2 févr. 2023

Du même critique

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

20 j'aime

6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

19 j'aime

10

Le Mage du Kremlin
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

18 j'aime

4