Dans une entrevue portant sur l’écriture du Vice-Consul, Duras évoque la solitude.Elle dit que la solitude est la substance de l’écriture. Le Vice-Consul est le roman qu’elle a eu le plus de mal à terminer. Il semble que c’est le texte dont l’écriture l’a poussée vers le plus de solitude. Pourquoi ce texte et pas un autre ? Duras possède deux écritures. La première s’attache à la narration d’événements vus ou vécus. Vient un glissement en 58 lorsque, son style s’affirmant, elle confie l’édition de Moderato Cantabile à Jérôme Lindon. Après ce age à Minuit, son écriture fait état de recherches formelles remarquables. Est-ce qu’elle se rapproche ou se distingue du « style minuit » ? Difficile à dire. De ces recherches sont issus ses romans de facture plus expérimentale. Des œuvres courtes où les motifs et les thèmes se répètent. Des romans qui s’articulent autour d’un mêmerécit, tout en explorant des styles différents. Alors, elle n’écrit plus pour raconter. Elle écrit pour écrire. Et elle écrit parce qu’elle est seule. Profondément seule. Elle n’a plus rien à dire. La langue s’efface et se fragmente. L'écriture cherche moins à nommer qu’à faire surgir. La syntaxe se délite d'ellipse en suspensions. Le Vice-Consul, l’Amant de la Chine du Nord, L’Amant et surtout Le Ravissement de Lol V. Stein font partie de ces œuvres courtes où la recherche formelle est portée à son acmé. Des dialogues laconiques, laissent place à des non-dits chargés de sens. Une atmosphère hypnotique où la lecture ne peut se faire qu'en comblant les vides. En interprétant les silences. Pourtant, il n’y a pas de recherche formelle au point où l’entendrait Robe-Grillet. Pour tout dire, Duras non pas dans une volonté de rupture théorique, mais avec la nécessité même du mutisme et de l’absence propre à l’écriture blanche. Cette nécessité, c’est la solitude. On le comprend en lisant Écrire, où elle affirme que « personne n’écrit », que l’acte d’écrire est une dépossession. On le comprend en regardant cette entrevue de 1980, où elle dit que l’écriture est ce qui reste quand il n’y a plus rien, qu’elle ne procède ni d’un projet, ni d’un programme, mais d’un vide à habiter. Alors on comprendre que l’Inde du Vice-Consul n’existe pas. Que la chaleur est davantage le motif de la déréliction des personnages, de leur isolement, etc. À lire immédiatement avant Le Ravissement de Lol V Stein.
> « Elle marche toute une nuit et toute une matinée. Entre les rizières, les rizières. Le ciel est bas. Dès le lever du soleil, sur la tête, on porte du plomb, il y a de l’eau partout, le ciel est si bas qu’il touche les rizières. Elle ne reconnaît rien. Elle continue. Elle a de plus en plus peur, elle se presse de plus en plus. »
> « Terre à lauriers-roses. Jamais plus cette fleur, jamais, nulle part. Il a trop bu ce soir, il boit trop, lourdeur dans la nuque, le cœur est au bord des lèvres, le rose des lauriers se mêle à l’aurore, la lèpre amoncelée se sépare, bouge et se répand. »
Marguerite Duras, Le Vice Consul