S'il y a bien une chose positive à reconnaitre au déluge de remakes en tout genre qui s'abat sur l'industrie ces dernières années, c'est cette capacité à remettre de belles licences du é sur le devant de la scène.
Non pas que Crash eu souffert d'un défaut de popularité, on parle quand même d'un marsupial au top du swag dans les 90' avec ses high tops tout terrain et son jean denim au ras des genoux. Mais l'histoire nous fait dire qu'après des faits d'armes discutés sur la deuxième console de Sony, son statut de mascotte fut d'un coup tout aussi menacé que l'existence des diables de Tasmanie.
Après une bonne sieste longue de près d'une décennie et un retour triomphal avec un pelage full HD, le Bandicoot est de nouveau en grande forme. Activision et Toys for Bob, en pleine confiance, nous présente cet épisode comme une suite directe à la trilogie sacrée de Naughty Dog, comme s'ils leur appartenaient de faire table rase d'une partie du é pour réécrire l'histoire.
Jamais parti mais toujours de retour
Après les voyages à travers le temps dans Wrath of Cortex, l'autre suite directe de la trilogie devenue désormais officieuse.
Bon, techniquement, la situation est différente puisqu'ici, les masques ont choisi le côté du Bien pour s'exprimer, donnant pour l'occasion à Crash et Coco de nouvelles capacités pour progresser sur les chemins tortueux du succès. Et en fait, ça tombe plutôt bien parce qu’en 2020, les masques n'ont jamais été aussi à la mode…
L'aventure commence par un terrible choix : mode moderne ou mode rétro ? Si les voyageurs rompus aux dangers de N Sanity Island tiendront peut-être le pari de tester la validité de leur statut de vétéran face au mode rétro où les vies tombent plus vite qu'un kart lancé en blue fire sur la piste Air, il apparait après coup que le challenge voulu s'accorde plutôt bien avec le mode moderne. Le mode moderne, c'est, à défaut de prévenir la mort, l'idée d'empêcher de perdre la vie. Un mode qui éradique toute perspective de Game Over et s'inscrit parfaitement dans les nouvelles normes d'accessibilité. Il s'agit alors non plus de pénaliser le joueur moins compétent mais bien de récompenser celui qui fait preuve d'une habilité supérieure. Cela se manifeste par exemple avec l'idée d'une gemme octroyée pour chaque niveau terminé avec un maximum de trois morts ou, à son paroxysme, avec l'existence de reliques parfaitement N'Sane AKA « fais le niveau sans mourir et en ramassant toutes les caisses t'auras une médaille ».
Une bien meilleure idée que celle des trois gemmes par niveau données pour la récolte de fruits Wumpa, qui pourra être vu au choix comme une ingénieuse manière de cultiver la faim de récompenses de la jeunesse, ou une propagande déguisée de la campagne Mangez, Bougez américaine.
On pourrait ici dresser un parallèle audacieux avec Super Mario Odyssey qui lui aussi jouait la carte de la gratification à outrance et abandonnait pour sa part complètement le système de vie si cher aux platformers. Pas un exemple isolé, puisque c'est une route qu'a également choisi Rayman lors de ses dernières apparitions. Peut-être là une tendance qui se dégage dans le mainstream tandis que les nostalgiques de l'arcade devront se tourner de plus en plus vers la scène indépendante pour retrouver les sensations d'antan. Mais Crash ne renie pas réellement ses origines puisqu'il offre le choix. Le choix du mode de difficulté comme dit précédemment, mais surtout le choix d'appréhender son contenu en fonction de ses capacités.
Car avant d'éluder la grande question de la difficulté qui agite les internet, il faut avant tout se pencher sur une autre question d'égale importance : à quelle sauce souhaiter vous déguster votre Bandicoot ? En ligne droite, cette nouvelle aventure est tout à fait réjouissante, profitant pleinement de la thématique de voyage entre les dimensions pour régaler d'environnements variés qui n'auront jamais autant flatter la rétine. Pour les collecteurs de gemmes, c'est un peu une autre histoire.
Tu as beau nourrir ton lézard ça ne deviendra pas un Dingodile
Si personne ne sera étonné de devoir sortir une soluce pour savoir comment récupérer les iconiques gemmes de couleurs, l'affaire devient plus fâcheuse en ce qui concerne les caisses. Plus nombreuses, plus dangereuses, plus vicieuses, elles se permettent même de nous cracher du feu dans le museau, comme une subtile manière de nous décourager à la tâche. Évidemment, trouver les caisses fait partie du jeu, il n'est pas question de demander à ce qu'elles soient gentiment disposées sur le chemin. Mais de là à les planquer derrières des éléments de décor ou dans les angles morts de la caméra, il y a un pas qu'il ne fallait pas franchir. En résulte le célèbre syndrome de la caisse manquante, terrible frustration qui nous pousserait presque à choisir l'option rejouer à la fin du niveau. Et c'est bien là, la grande obsession de ce Crash Bandicoot 4. Vous pousser à faire, refaire et défaire chaque niveau jusqu'à épuisement. Ce qui en soi n'a rien de rédhibitoire tant ceux-ci sont globalement qualitatifs, mais n'aurait-il pas été plus à propos d'y retourner pour le plaisir plutôt que pour de vains objectifs ? Nous y reviendrons. Pour en terminer sur le sujet des caisses, la palme de la frustration reste attribuée aux séquences de "runner" à dos d'animaux si chers à la saga. Car non content de voir les caisses sur la route, encore faut -il pouvoir les récupérer. Et autant se dire qu'à la vitesse d'un ours polaire en furie, c'est loin d'être une mince affaire. Si Camus pensait que le suicide était un problème sérieux, c'est qu'il n'a jamais eu le temps de s'essayer à ce genre de fantaisies. C'est dans ce genre de situation que le mode moderne se veut particulièrement approprié, permettant aux plus acharnés de multiplier les tentatives sans se soucier de leur stock de vie.
Pour pousser plus loin la résistance psychologique du gamer, on découvre l'existence des niveaux N.Verted, à savoir les exacts même niveaux en mode miroir, parés d'un filtre au mieux d'un goût discutable, au pire d'une lisibilité exécrable. On félicitera ainsi les développeurs d'avoir découvert l'onglet Shader de l'Unreal Engine 4, une bonne manière de créer du contenu inutile à moindre frais et de promouvoir leur travail à base de « eh regardez, on a 100 niveaux » alors que la vérité est bien moins glorieuse… Et il n'est pas ici question de critiquer une durée de vie plus qu'honorable mais plutôt de s'interroger sur cette absurde course au contenu qui, on le sait, reste malheureusement un critère de choix dans l'évaluation d'un jeu vidéo. Paradoxalement, en pensant faire plaisir à sa communauté, c'est un trop plein qui risque d'engendrer son lot d'exaspération. Le cas typique du "trop de contenu tue le contenu " d'où accouche une galette tellement bourrative qu'elle pourrait faire gargouiller le ventre de Papu Papu.
Car viendra une heure où, comme dans chacun des platformers qu'il a affronté dans sa carrière, le joueur consciencieux s'intéressera à son pourcentage de complétion. Bercé par l'espoir de ses succès és, il s'attachera à croire que le sacro-saint 100%, pin's virtuel chéri du gamer, est à portée de main humaine. Et au risque de briser tout suspense, non, il ne l'est pas. Le remake de la trilogie avait pris parti d'intégrer les reliques de contre la montre aux deux premiers Crash. Une décision discutable mais qui restait à l'état de bonus, n'altérant pas l'obtention du pourcentage ultime, et donc de la vraie fin. Ici, il est non seulement question de transformer votre bandicoot en bête de course pour décrocher la timbale, mais aussi de récupérer les reliques dans leur version de platine. Pour les non-initiés, le temps platine, c'est au-dessus du temps or, lui-même au-dessus du temps de la relique classique. En d'autres termes, une performance qui demande non seulement une connaissance approfondie des niveaux, mais aussi une maitrise certaine des techniques de speedrun. Et comme vous le savez, speedrunner c'est un métier... il est donc dommageable de vouloir mêler les exploits de cette minorité à une majorité bien moins orienté dans le spectacle.
Mais au-delà du simple mur de difficulté que cela peut représenter, c'est surtout la perspective d'une tâche si fastidieuse qu'elle peut décourager avant même de l'intenter. Comme vous le comprendrez rapidement, face à ce genre d'obstacles, la patience est une arme bien plus puissante que le tacle saut. It's about time, comme un avertissement, car tout est bien question de temps ; celui dont vous êtes prêt à vous départir et celui qu'il vous faudra pour se rendre compte que ce n'est certainement pas suffisant. Et on touche ici le point névralgique de la bête, car à force de devoir en rogner les os, on finit fatalement par atteindre les bouts de gras.
Si un marsupial vous dit qu'il peut parler, il ment probablement
C'est d'autant plus dommage que d'un point de vue plus global, ce Crash Bandicoot 4 est une vraie réussite. Il relève avec talent son principal défi, à savoir moderniser la formule tout en restant extrêmement fidèle à ce qu'elle proposait. Mais si Crash revient avec ses plus belles qualités, il n'oublie pas non plus de ramener ses plus beaux défauts. De ses changements de caméra inopportuns jusqu'aux errances de la perspective en ant par des hitboxes pour le moins surprenante ou une physique quelquefois agaçante, tout est là comme à la bonne vieille époque. Le truc le plus drôle, c'est l'ajout d'une cible de réception lors des sauts qui vient subtilement aider le joueur à combattre une 3D parfois facétieuse. Un très bon ajout en soi, je le concède, mais qui témoigne de cette volonté de ne pas dénaturer l'expérience d'antan au risque de conserver certaines carences et de les accepter comme partie intégrante de l'ADN de la saga.
Pour autant, il s'en est é des choses du côté de la plateforme depuis Crash Bandicoot 3, et l'influence des nouvelles références du genre se ressent à chaque niveau. Cela tourne parfois à la disgression comme dans celui du carnaval en Nouvelle-Orléans qui aurait certainement était plus à son aise dans un Donkey Kong Country ou un Rayman, mais il faut globalement reconnaitre que les nouveautés s'intègrent très bien à l'univers. Les pouvoirs des masques antiques sont intéressants et les différents personnages jouables apportent une diversité appréciable. Évoquons aussi les excellents niveaux flashback, sorte de niveaux bonus en mode casse-tête et casse-gueule qui nous proposent de revivre les premiers instants du héros, là où il n'était encore qu'un simple cobaye de laboratoire. Bien qu'évidemment, tout n'est pas parfait. On pourrait facilement s'agacer face à ces trop nombreuses séquences de glisse sur rails façon Ratchet & Clank qui font visiblement la fierté des level designers. Ou encore se demander comment il est possible de proposer un wall run aussi flingué en 2020 sans s'attirer les foudres du tribunal correctionnel.
Mais rien ne sert de pinailler, car l'heure est à la fête. Crash Bandicoot 4 est avant tout un hommage sincère et ionné à la franchise. Un épisode presque fantasmé que l'on attendait plus. Une célébration constante où le fan service est servi dans des coupes champagne avec la modération qu'il convient. Un défilé de bonne humeur qui distribue les madeleines de Proust à qui veut bien s'en emparer. Mais le plus fou dans tout ça, c'est que Crash prouve qu'il a encore des choses à dire, un comble pour un personnage pourtant toujours privé du droit de parole. Sans révolutionner le genre, ni même faire preuve d'autant d'audace et d'inventivité que le célèbre plombier moustachu qui le regardera toujours de haut, il parvient tout de même à trouver place honorable dans le paysage vidéoludique actuel, chose impensable il y a encore quelques années.
On se met alors à penser qu'une suite est envisageable et qu'elle pourrait être réussie. Et on se dit que peut être, cette cinématique finale où nos héros Bandicoot se retrouvent à jouer ensemble sur un canapé est une subtile façon de nous teaser un retour en force de Crash Bash l'année prochaine. Et à ce moment-là, on rattrapera tout ce temps perdu à chercher des caisses en se les balançant joyeusement à la gueule, et ainsi la fête continuera, encore un peu…