Dans la collaboration Sautet-Néron-Dabadie, Vincent, François, Paul et les autres porte au sommet cette absence d’ambition scénaristique au profit d’un tableau de mœurs découpé dans une époque. Débarrassée des procédés du polar de Max et les ferrailleurs, moins acérée que dans César et Rosalie, l’intrigue sentimentale papillonne entre plusieurs personnages, et s’attelle au portrait d’un groupe. On sait à quel point Sautet a toujours su restituer les dynamiques collectives, et c’est bien là le propos de son film, comme l’affirme clairement son titre. La direction d’acteurs est toujours aussi impeccable, et l’illusion d’immersion dans un groupe d’amis fonctionne irablement. On pourrait certes reprocher aux comédiens de reprendre toujours les mêmes rôles, particulièrement pour Montand et sa fausse assurance méditerranée ou Piccoli dans sa minéralité blessée. Mais le fait est qu’on y croit, et que l’adjonction de Serge Reggiani en romancier en panne ou Depardieu en boxeur débutant ajoute à cette iration qu’on peut avoir à l’endroit de Sautet qui sait rendre n’importe quel personnage crédible et émouvant.
Tout se joue dans cet équilibre fragile, ce pivot entre la personne qu’on représente aux yeux de nos proches et les failles de nos tourments intérieurs. Une séquence résume irablement cette ambivalence : après l’incendie de la cabane, non-événement plus amusant qu’exceptionnel, le personnage de Montand va prendre le téléphone, derrière une vitre qui reflète la vie du groupe qui se poursuit sans lui au premier plan, tandis qu’on le voit sombre et meurtri par les propos qu’il écoute. A de nombreuses reprises, le réalisateur joue de ces couches et cette construction de l’espace, laissant la plupart du temps les personnages se confier à demi-mot sur des situations qu’ils ne gèrent qu’à moitié. Face aux raisons du cœur, au courage d’entreprendre, leurs petites lâchetés, leurs échecs, les hommes, principalement, en prennent pour leur grade, tout comme la société en crise dans laquelle ils évoluent. Un romancier sans inspiration, un médecin devenu capitaliste, un entrepreneur qui perd tout et fait bonne figure sont autant de silhouettes doucement brisées par le quotidien, qui parviennent à rire ensemble et affrontent comme ils le peuvent, souvent avec le soutien des autres meurtris, les épreuves, ces fameuses Choses de la vie.
Ainsi va la vie : on s’engueule, on se déclame ses quatre vérités, on se réconcilie parce qu’il faut bien ettre que l’amour et l’amitié sont les derniers remparts contre la défaite. Comme le dit Vincent dans l’ultime réplique ; « On sait pas, avec la vie hein ? ». Acteurs et spectateurs, les membres du groupe ont chacun leur instant, avec une gestion irable des rôles, finalement presque tous seconds, et jamais aussi touchants que lorsqu’ils regardent l’autre, à l’image de la séquence du match de boxe où les réactions du groupe sont splendides d’authenticité.
La voix off qui intervient de temps à autre, signature supplémentaire de Sautet, confère encore davantage à son film cette tonalité universelle : Vincent, François, Paul et les autres n’est pas un film sur la bourgeoisie, ni sur les années 70 : c’est un film sur les membres de la communauté humaine.
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