The Alto Knights
5.8
The Alto Knights

Film de Barry Levinson (2025)

Une leçon de mise en scène

On peut trouver un film à la fois mauvais et ionnant : c’est le cas, assez rare, d’Alto Knights. Sorti dans l’indifférence générale, sans campagne marketing de la part de Warner qui semble résigné à enchaîner les bides de compétition (Furiosa, Joker folie à 2, Mickey 17), le film avait tout de même de quoi exciter une certaine frange du public. Ce récit relatant la réelle rivalité épique entre deux boss de la mafia new-yorkaise dans les années 50 coche en effet bien des cases du savoir-faire hollywoodien. Qu’on y ajoute De Niro en tête d’affiche, Nicholas Pileggi à l’écriture (Les Affranchis, Casino, The Irishman), Dante Spinotti à la photo (grand fidèle Michael Mann durant les années 90), et on peut s’attendre à un film de Martin Scorsese. Mais sans lui, puisque Barry Levinson, dont les succès comme Good Morning, Vietnam ou Rain Man ne restent pas en mémoire comme des sommets de mise en scène.


Voilà le principal intérêt d’Alto Knights : voir un film scorsesien pris en charge par un autre réalisateur, et constater, à travers le résultat, le génie manquant et le talent apparemment inimitable du maître. Car le film ne se contente pas de relater un récit à la manière de Scorsese : il en reprend clairement tous les procédés stylistiques. L’écriture de Pileggi aide évidemment, dans l’emploi de la voix off omniprésente de Robert De Niro, la narration non linéaire et le recours aux photographies d’archives, et jusqu’au dispositif narratif lui-même où le personnage parle face caméra au public dans une confession de fin de vie. Mais c’est sans doute sur le montage que le pastiche est le plus manifeste : freeze frames, séquences maîtresses (l’audition, le meurtre chez le coiffeur) combinant trois à quatre scènes simultanées par le montage alterné, le tout agrémenté d’effets cherchant à reproduire la fluidité de certains mouvements d’appareil, ou les chichis inutiles comme le fait de filmer le visage d’un interlocuteur derrière un verre flou au premier plan.


Le premier motif de ratage est sans doute celui de l’embarras : il est toujours un peu gênant de voir un artiste imiter sagement plus talentueux que lui, affirmant par là même un manque flagrant de personnalité. Mais c’est surtout la question du dosage qui interpelle : la mise en scène est particulièrement pesante, obéissant à cette stupide idée qui veut qu’un bel effet le sera d’autant plus qu’on le soulignera davantage. Les dialogues étirés à l’excès déclenchent alourdissent une intrigue finalement très linéaire, et les effets de mise en scène semblent sont moins mobilisés pour approfondir le propos que pour empêcher le spectateur de sombrer dans l’ennui le plus total.


On ne peut évidemment pas er sous silence l’autre idée saugrenue du film, consistant à faire incarner les deux personnages rivaux par le même acteur. Difficile d’y voir autre chose qu’une singularité marketing, voire une petite fantaisie de fin de carrière pour De Niro, qui après avoir joué le de-aging, s’essaie à la duplication. L’effet n’est pas aussi désastreux qu’il aurait pu l’être, et on est finalement plus dérangé par le maquillage outrancier de chacun des personnages que par la mystification nous permettant de les voir interagir. De Niro s’amuse à diversifier les partitions, entre le Costello froid et méthodique, et le Genovese pastichant un autre incontournable de Scorsese, à savoir l’italo-américain incarné par Joe Pesci. Difficile de déterminer si l’absence d’alchimie, malgré l’ambition affichée (les souvenirs d’enfance et la mélancolie d’une amitié détruire renvoie bien évidemment au monument Il était une fois en Amérique) est due à cet artifice inutile ou au manque de talent du réalisateur.


Toutes ces maladresses sont d’autant plus regrettables qu’on sent à plusieurs reprises à quel point le film aurait pu convaincre. Parce que les invariants du genre du film de mafia sont à plusieurs reprises mises en relation avec l’Amérique contemporaine, dans cette inépuisable question de la terre d’accueil des migrants (ici, italiens), du pays des opportunités et de la victoire vénéneuse du capitalisme, prospérant par la violence et la corruption. Dans cette attention portée à la naissance des médias (l’audition filmée, l’irruption d’un sénateur dans un jeu télévisé, les fake news orchestrées par Genovese dans la visite de sa fausse maison modeste…), et qui annonce tant de catastrophes actuelles… Autant de pistes tout à l’honneur du scénariste, mais qui n’auront pas su rencontrer l’œil assez vivace pour les mettre en image.

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le 24 mars 2025

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Sergent_Pepper

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