Après la réinterprétation du classique Nosferatu en fin d'année 2024 par Robert Eggers, la figure du vampire reviendrait-elle à la mode ?
S'il utilise le même procédé figuratif afin de nourrir son œuvre, Ryan Coogler, lui, décide de délocaliser ses monstres dans l'Amérique ségrégationniste de 1930. Et de prendre son temps, comme Robert.
Le temps de délivrer une peinture de l'époque, aussi rutilante dans ses décors et sa reconstitution, que cruelle dans la menace sourde et le temps mortifère. Le temps de présenter chaque personnage de son aventure, repoussant le plus longtemps possible l'action promise et sans cesse attendue dès lors que Sinners semble s'inscrire curieusement dans les pas d'un film comme Une Nuit en Enfer.
Sur cet aspect, il est plutôt plaisant de voir Ryan Coogler convoquer l'ensemble des conventions induites par la nature des monstres qu'il convoque dans son affrontement très pieux, jouant avec presque chaque élément du mythe avec une certaine gourmandise.
Mais si Sinners offre bien le carnage annoncé dès ses premières images, il fait aussi comprendre qu'il vise bien autre chose, au risque peut-être de se fragiliser.
Car le film s'impose dans la métaphore sociale. Avec de belles images. Avec des parallèles parfois fantastiques ou des idées de mise en scène lumineuses, à l'image d'un formidable plan séquence ouvrant, le temps d'une musique et d'une scène, les portes du temps sur la culture noire. Ou encore le temps d'une folle sarabande nocturne illustrant son appropriation et la disparition pure et simple de son identité. Car bien sûr, il s'agit de vampirisation, avec tout ce que cela comporte donc de violence, littérale et symbolique dans Sinners.
Tout en allant au delà ou, plus précisément, en ajoutant d'autres aspects de la critique de cette société, comme celui tiré de la religion, ou encore les aspirations d'émancipation illusoires entretenus par ces deux frères dont l'incarnation s'inscrit dans une nouvelle tendance de double interprétation déjà vue très récemment dans Mickey 17 et The Alto Knights.
On pourra sans doute trouver dommage que parfois, le film se révèle un peu moins organique dès lors qu'il s'agit d'appuyer, parfois de manière un peu gauche, sa démonstration, ou encore que l'oeuvre dure quelques précieuses minutes de trop impactant la puissance de sa dernière ligne droite.
Il sera cependant bien apprécié dans sa peinture d'une œuvre moins bête que la moyenne dans son propos, ou encore dès qu'il s'immerge à corps perdu dans la ferveur de sa culture, soutenue à l'image par une bande originale tout simplement parfaite. Toute comme sa dernière image, symbolisant toute l'étroitesse du chemin à emprunter pour tenter de se libérer.
Mais surtout, Sinners nous vengera en s'inscrivant à l'inverse de toute la bêtise bien crasse et de la complaisance toute aussi cynique qu'irresponsable de ce qui animait le cadavre informe du récent remake du légendaire Candyman. Un truc au propos des plus douteux, où Nia Da Costa affirmait parler d'appropriation sociale... Via un ridicule artiste maudit à bonnet.
Rien que pour cela, Sinners mérite d'être apprécié.
Behind_the_Mask, Blues Brothers.