Gareth Evans, dont la réputation avait explosé avec le diptyque The Raid, est un cinéaste dont on pouvait attendre avec une certaine fébrilité le retour après une longue période consacrée aux séries. Ce virtuose de l’action et de la baston salissante avait de quoi exciter le public dans ce nouveau projet, immersion dans les bas-fonds d’une ville en proie aux ripoux et à la mafia. Rien de bien nouveau en termes de pitch, soit, mais la promesse de séquences brutales et inventives.
Le produit finit soulève pas mal de questions sur la position du curseur, entre maîtrise de l’exécution et bâclage de l’écriture. Et l’enthousiasme qu’on peut voir fleurir ici et là dans la critique en dit long sur la période de vaches maigre que traverse le divertissement populaire, particulièrement sur les plateformes.
Ravage accumule à peu près tous les poncifs imaginables, dans une intrigue en pilote automatique servant de prétexte à des exercices de style il est vrai parfaitement roboratifs. Evans n’a rien perdu de sa superbe, et quelques moments de bravoure resteront dans les mémoires – au moins quelques semaines, voire quelques mois avant la prochaine proposition convaincante dans sur même créneau. Une exécution à travers le toit d’une voiture filmée par un recadrage perpendiculaire, un massacre au ralenti convoquant les années fastes de John Woo, une baston sur deux niveaux dans un night-club, pastiche réussi de John Wick, les séquences s’enchaînent et convainquent. L’inventivité dans les mises à mort, le gore un brin fun, les fantaisies de prises de vue (caméra à l’envers, en POV) et le jeu burlesque avec les accessoires (jolie prise en main d’un sceau et de sa bouteille de champagne) confèrent à l’ensemble une approche slapstick divertissante à souhait.
Mais il faut bien emballer l’ensemble et relier les séquences entre elles, et c’est là que le spectateur va souffrir davantage que les victimes de notre brutus de service. La photo, noyée dans un filtre probablement censé rendre l’atmosphère poisseuse, urbaine et nocturne, donne surtout le sentiment de nous plonger dans des cinématiques de jeu vidéo. Les personnages sont réduits à un trait de caractère, Tom Hardy se contentant de laisser sa lippe pendre pour nous faire comprendre qu’il est badass, et aucun des sempiternels ressorts (divorce, poids d’une faute ancienne, loyauté, blablabla) ne donnera une quelconque épaisseur aux interactions qu’il aura avec le reste de la distribution.
On a récemment évoqué, à propos de Netflix, les recommandations données aux scénaristes, stipulant qu’un utilisateur devait pouvoir regarder le film tout en consultant son téléphone, et qu’il était nécessaire de lui rappeler régulièrement les enjeux de l’intrigue pour qu’il ne perde pas le fil.
Ravage pourrait en être un exemple, au vu de l’atroce lourdeur de ses dialogues et l’exposition permanente de ses enjeux, des mobiles des personnages, le tout dans une intrigue qui ne se distingue en rien du tout venant, obnubilée à l’idée de séparer les gentils pris dans un engrenage, et des vrais gros méchants, tous candidats au massacre généralisé. L’échange entre Hardy et Whitaker dans la mairie devrait être étudié dans les écoles. Largement exploité dans la bande annonce, et pour cause, il semble citer les phrases de pitch que s’échangent les producteurs lors des réunions préparatoires, alignant les enjeux synthétiques, le é complexe frelaté, les dilemmes en carton et les scrupules éphémères. Les massacres qui s’en suivent font alors figure de soulagement, à la différence près que face à ces ersatz de personnages dénués de toute incarnation, on n’aura pas plus d’empathie pour un camp que pour l’autre : seuls comptent les balles qui fusent, les corps projetés et les mandales distribuées. Mais bon : les exécutifs de Netflix ont probablement décidé que c’était la formule gagnante en étudiant les algorithmes de visionnages.