Partir un jour
6.7
Partir un jour

Film de Amélie Bonnin (2025)

Comment se dire adieu

Il est des distinctions vénéneuses : en allant chercher un premier film pour le présenter en ouverture, le Festival de Cannes offre un cadeau empoisonné à Amélie Bonnin : une vitrine d’exception, et une projection à la suite d’une cérémonie de prestige où le gratin du cinéma mondial s’autocongratule. Difficile pour le public de ne pas juger ce petit film à l’aune du contexte.


C’est probablement la première chose à faire : voir Partir un jour pour ce qu’il est – voire, se demander ce qu’on en aurait pensé en le découvrant dans son juste milieu, par exemple la Semaine de la Critique, spécialisée dans les jeunes cinéastes et les premiers films. Les maladresses sont nombreuses et un certain temps d’adaptation nécessaire pour entrer dans un récit cousu de fil blanc, opposant la réussite de la protagoniste aux milieu social dont elle a su s’extraire, pour un retour au bercail forcément complexe. Les dialogues manquent de fluidité (particulièrement ceux avec François Rollin, sous exploité dans ce rôle un peu rigide et mécanique), les situations un peu répétitives et les enjeux très lisibles (la parentalité, le plat signature parisien à définir en revenant aux sources, etc.)


Mais l’essentiel n’est pas vraiment là. Partir un jour poursuit cette veine très vivace du cinéma français des régions, qui de Leurs enfants après eux à La Pampa, en ant par le récent succès surprise Vingt Dieux, s’interroge sur les territoires ignorés de la fiction nationale – comme le faisait aussi Florent Bernard dans Nous, les Leroy. Le retour au pays natal de Cécile est l’occasion d’un voyage nostalgique dans ces coins paumés et sans identité, même pas attachés à une culture précise : un relais routier, un étang de pêche, une boite de nuit, une bande de potes figée dans le temps et incapable de vraiment grandir.


L’amateurisme du film trouve donc ici une motivation précise : retrouver l’authenticité d’un monde qui ne cherche pas la pose, se sait méprisé par les citadins et ceux qui réussissent, mais avance à son propre rythme. C’est là que la comédie musicale prend une tournure singulière. Sur le modèle d’On connait la chanson, des chansons viennent ponctuer les échanges, souvent par bribes (dont la très drôle introduction interrompue de Francis Cabrel), presque parlées, sans offrir la sublimation généralement offerte par le genre. Les comédiens chantent un peu faux (à l’exception évidente de Juliette Armanet), le rythme est laborieux : l’émotion du personnage supplante la performance musicale. De la même manière que Cécile la gagnante de Top Chef se voit contrainte à préparer une macédoine de légumes, la cinéaste joue avec malice sur le répertoire, allant chercher du côté des tubes populaires des années 2000, (Femme like you, Partir un jour, Ces soirées-là…) avec un mélange de kitsch, de tendresse et d’amusement ringard. Car la principale réussite du film tient dans cette capacité à retrouver l’enthousiasme fébrile d’une époque, et l’acharnement avec lequel les trentenaires tentent de le faire renaître. Bastien Bouillon, d’un charme ravageur, entraine à sa suite sa bande de potes dans les scènes les plus réussies, et parvient à enrichir le lyrisme d’un apogée on ice par un sens de la dérision et une mélancolie discrète qui font mouche.


Ce territoire mal dégrossi, avant le grand formatage du dressage gastronomique et social, est donc le cœur palpitant du récit. Et dans cette trajectoire vers le monde des adultes, les étapes se construisent moins sur des accomplissements que des deuils. Partir un jour chante donc les adieux, avec la maladresse des origines, et la spontanéité des sincères.


(6.5/10)

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le 14 mai 2025

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Sergent_Pepper

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