Derrière la célébration critique et les effets d’aura orientale qui entourent Oncle Boonmee, se profile un cinéma du retrait : retrait du monde, retrait du langage, retrait du réel. Le film propose une suite de tableaux flottants, mi-folkloriques, mi-oniriques, où la mort, la réincarnation et les esprits apparaissent sans tension, sans nécessité, sans ancrage.
Weerasethakul, célébré pour son minimalisme, signe ici moins une œuvre de silence qu’une esthétique de l’indifférence. Rien ne pèse. Tout e comme un encens qui se consume sans jamais brûler. On y voit des apparitions, des grottes rouges, des singes aux yeux rouges, mais rien ne semble inscrit dans une nécessité interne — ni dramatique, ni symbolique. L’idée d’un « autre monde » y devient un poncif flottant, une carte postale bouddhiste pour festivals occidentaux.
Ce que ce cinéma perd, à force de déréaliser, c’est la charge ontologique du sacré. Le mystère, pour être vrai, doit être pesé, traversé, éprouvé. Ici, il est plat, diffus, esthétisé — c’est un mystère de salon, un exotisme lent pour spectateurs pressés de méditer.
Apichatpong ne filme pas l’énigme du monde, mais l’effet de cette énigme sur des corps trop apaisés pour la porter. C’est une spiritualité sans exigence, sans creusement. Le contraire exact de Tarkovski, de Grandrieux, de Gus Van Sant dans Gerry. Chez eux, le réel est dense, il faut le traverser. Chez Weerasethakul, le réel est dilué — il suffit de se laisser porter.
En ce sens, Oncle Boonmee relève d’un art bien de son temps : un art de l’énigme vide. Mystique du clic lent, poétique du fond d’écran.