Usurpation d'identité

En 2006, le 3e Mission Impossible devait parler de trafic d'êtres humains et être réalisé par Joe Carnahan, alors découvert via l'excellent Narc. Repéré par Tom Cruise, Carnahan quitta finalement le projet. Avec un tel sujet, avec un tel réal', MI3 était parti pour se salir les mains. Quand on voit le film de J.J. Abrams, il ne reste, et c'est bien normal, rien du projet.


L'anecdote est vieille de vingt ans, mais ce MI3 avorté ne cesse de hanter la saga depuis. Plus jamais on a vu, après lui, un membre de l'équipe empalé dans un ascenseur (chez Brian De Palma) ni une victime infectée par un virus mortel saigner par tous les orifices (chez John Woo). Dans MI3, le seul moment glaçant, c'est le décès de la jeune recrue de Hunt, avec cette charge explosive qui lui ravage la boîte crânienne.


Brutal, mais pas sanglant. Pour le meilleur et pour le pire, Mission Impossible est tenu de A à Z par sa star productrice . Ethan Hunt est à Tom Cruise ce que le débat de l'entre deux tours est aux candidats des présidentielles : une petite poignée d'heures qui, tous les quatre/cinq ans, peuvent faire ou défaire sa côte de popularité.


Top Gun est une exception, car Cruise n'y avait pas touché depuis 1986. La saga Mission Impossible, elle, ne s'est jamais arrêtée. Trente ans de bons et loyaux services. On peut toujours débattre sur les différents épisodes, Mission Impossible, je les ai tous vus trois fois au minimum. Depuis le premier en 1996, j'ai eu le temps de découvrir, de suivre assidument puis de complètement déserter Marvel. Tout un cycle cinéphile débuté puis achevé, alors que Mission Impossible, ça n'a jamais cessé. Moyens ou très bons, j'ai toujours envie de les revoir. Final Reckoning, c'est une triste première, je n'ai pas envie de le revoir.


L'ancien MI3, ce sombre récit de trafic d'êtres humains, on en sent la présence dans chaque opus. La saga fait des menaces verbales, mais n'est jamais sombre. On y croise des tortionnaires aux outils affutés, mais il n'y a pas de torture. MI, c'est certes pas pour les gosses, mais ça reste familial.


Qu'on se comprenne, Mission Impossible n'a pas besoin de violence pour être attachante, réjouissante et généreuse. La violence est une option, mais ce n'est pas dans son ADN. Cet univers se prête à fond à un spectacle grand public. Le renoncement au MI3 initial, projet incroyable avec le recul, a ainsi donné le la pour les vingt ans qui ont suivi. Le problème, c'est que même dans cette optique, même en ayant vu et revu avec joie les sept précédent films, Final Reckoning fait peine à voir.


La supposée mégalomanie de Tom Cruise n'est pas responsable de cette déception. Le mec fait son job, tient son entreprise, s'entoure de gens qu'il estime les meilleurs dans leur domaine et, surtout, possède un CV dont le prestige suscite l'iration du plus pointu des cinéphiles : Steven Spielberg, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Michael Mann, P.T. Anderson, Stanley Kubrick... C'est affolant. Côté comédie, il est rigolo dans Knight and Day et hilarant dans Tropic Thunder. Tom a gagné le droit de se kiffer.


Non, le vrai problème de MI8, c'est qu'une digue cède, alors qu'elle n'avait jamais cédé auparavant : celle du syndrome du Cours Préparatoire. Vous savez, ce besoin irrépressible de tendre une feuille au spectateur, avec des petits points qu'il pourra relier, comme au primaire. J'en ai absolument rien à cirer que tel couillon fasse tel caméo dans telle scène.


J'ai lâché Marvel à cause de ça, le syndrome du . Le seul intérêt des longs-métrages, à cause de ce procédé, ce sont les dix secondes où, sur deux heures, tu saisis un lien obscur entre ledit film et un spin off de série sur Disney +. Le caméo, quand c'est bien fait, quand ce ne sont pas de bêtes points à relier, ça donne la scène post-générique de Split, et c'est réellement excitant.


Mission Impossible n'a pas de multivers. Cette saga était droite dans ses bottes. Les films se suffisaient à eux-mêmes. Seule la femme de Hunt (apparue dans MI3, tiens donc), servait de fil rouge entre les différents épisodes. Tu peux voir Ghost Protocol sans avoir vu MI3, et pourtant profiter de l'épilogue où le couple est réuni, le temps d'un bref champ contrechamp. Si t'as un pote qui a suivi l'affaire et que toi, tu découvres la saga directement avec l'opus 6, Fallout, il te fait un topo sur la Veuve Blanche, sur Mme Hunt, et l'affaire est dans le sac, tu peux profiter du spectacle. Final Reckoning, lui, fait le pari d'être une suite directe, immédiate, organiquement liée à Dead Reckoning Partie 1.


Or, depuis 2023, il s'est é un truc louche. MI7 a changé de titre. Ce n'est plus Dead Reckoning Partie 1, mais Dead Reckoning. L'opus final, lui, n'est plus Dead Reckoning partie 2, mais Final Reckoning. Tout ça n'a l'air de rien, mais ça en dit très long sur le médiocre résultat qui est aujourd'hui en salles. Cruise a fait machine arrière et détaché autant qu'il le pouvait cet épisode final de son prédécesseur.


En attendant, Dead Reckoning partie 1, tu as beau le renier, il existe. Il n'a pas été remonté. Il a changé d'identité, mais ses péripéties restent les mêmes. Et ce film-là, il a fait des promesses. Elles étaient excitantes. Non seulement Final Reckoning ne les tient pas, mais il les met sous le tapis, comme une lettre d'amour qu'on a honte d'avoir postée.


La digue qui a sauté, ce fichu syndrome du Cours Préparatoire qui fait irruption dans MI8, il a ses bons côtés. J'ai trouvé habile que la patte de lapin, ce macguffin de MI3 (on y revient, encore et toujours) soit intégrée à la saga et cimente les enjeux planétaires voulus par Cruise. Mais pour un bien, que de mal. Le retour de l'agent exilé du premier film, c'est amusant mais hors-sujet. Et MI8, surtout, on y découvre le fils de Jim Phelps.


Putains de points à relier, putain de marvellerie. Bidule est le fils de machin. C'est pas un enjeu, c'est une engelure, ça freine la narration, la mise en scène, le projet entier. Vu la solidité de la saga, j'ai cru que ça allait quelque part, mais non. Aucune intrigue secondaire à base de vengeance. C'est son fils. C'est tout. Point barre. Point reliés. Contents les .


Au contraire, quand on apprenait que la Veuve Blanche est la fille de Max, mastermind du De Palma, ça éclairait d'un coup ses liens avec Kittridge. Ça fonctionnait, discrètement, et c'est sans doute pour ça que Vanessa Kirby n'apparaît même pas, ici. Au


Mais quid des enjeux posés dans Dead Reckoning parti... Pardon, dans Dead Reckoning tout court ? En deux scènes, Pom Klementieff y imposait un personnage secondaire formidable : Paris. Je suis absolument fan de ses tenues dans Dead Reckoning, au age. Sitôt à l'écran, sitôt captivante. Hunt lui laissait la vie sauve. Gabriel essayait de la tuer. Paris sauvait Hunt, in extremis. Voir un tel personnage er d'un camp à l'autre aurait été fantastique. MI8 n'en fait rien. Elle sort des phrases en français pour nous rappeler qu'elle parle français. Sa vengeance vis-à-vis de Gabriel n'est pas traitée. On en a honte, d'elle aussi. On ne sait pas quoi en faire, donc on la met au coin.


Idem pour le traumatisme initial de Hunt. Qui est cette femme que Gabriel a abattu sous ses yeux ? Pourquoi l'a-t'il tuée ? Et pourquoi est-ce Gabriel que l'Entité a choisi comme émissaire ? Tout ceci est mis sous le tapis avec le reste, alors que MI8 approche les trois heures de projection. Gêné par ses propres enjeux, gêné par ses propres personnages, le film les réduit à leur plus simple expression.


Or ce qui marche dans Mission Impossible, c'est le particulier, pas le général, c'est l'enjeu local bien plus que l'enjeu global. Que Cruise soit mégalo, peu importe. Mais MI8, le film, l'est. Il s'éloigne du local et s'égare dans le global. Il aligne les scènes de réunion, les déclarations sentencieuses, pour dessiner une menace d'extinction nucléaire façon Terminator 2, avec l'Entité dans le rôle de Skynet.


Parlons-en de l'Entité. Dead Reckoning, je l'aime assez pour suspendre mon incrédulité à 10.000 pieds d'altitude. Je me disais qu'une telle IA aurait dû écouter toutes les conversations comme le fait déjà Meta pour nous, petits consommateurs soumis. Un tel ennemi aurait pu donner naissance à un immense thriller parano.


Mais tout était pardonné car quel bonheur, quel délice, de voir un film avec un enjeu si actuel se terminer à bord d'un train à vapeur, l'Orient Express ! La scène est si généreuse, si bien mise en scène et en musique, c'est irrésistible. Le fait d'avoir une partie 2 aidait, aussi, à faire er la pilule. L'IA, elle se déploierait lors cette suite. Or dans Final Reckoning, l'Entité est mise au placard elle aussi, narrativement parlant. Elle est occupée partout dans le monde, sauf à l'écran. Dead Reckoning, on sent décidément que Cruise et McQuarrie le regrettent.


Délaisser les personnages est un triste choix. Histoire de noyer le poisson, MI8 répète des situations déjà vues : un duel aérien couplé à un désamorçage de bombe ? Sérieusement, c'était mot pour mot le dernier tiers de Fallout, vous y avez juste ajouté une clé USB. C'est déjà pas ouf dans Fallout, cet incessant yoyo d'hélicoptères. MI8 scelle les limites de McQuarrie côté mise en scène. Oui, magnifique boulot des cascadeurs, des opérateurs caméra et des accessoiristes. Mais filmer cette prouesse n'apporte rien à la prouesse. La mise en scène est plan-plan, démonstrative.


Et pourtant, miraculeusement, en milieu de film, il y a le Sebastopol. Malgré l'absurdité de sa résolution, ce age est génial. Le sound design, le décor, la lumière, la combinaison. Tout est beau, prenant, flippant. Là, coupé du monde, MI8 décolle. C'est l'exception qui confirme la déception. Idem pour l'équipage de l'autre sous-marin, actif, où Hunt s'équipe avant de plonger. Immédiatement cool, ces sous-mariniers. Tu les aimes d'entrée de jeu, ces second rôles. Si seulement le film avait eu cette saveur.


Tout ceci n'enlève rien aux heures de joie prises devant la saga, année après année. La virtuosité opératique de De Palma, le romantisme désuet de Woo, l'énergie sportive d'Abrams, le génie scénographique de Bird, la sobre élégance de McQuarrie, c'est déjà beaucoup. Mission Impossible est une saga vieillissante. Elle ne nous fait même plus le coup des masques, sauf une fois au début. Elle a pris peur et raté sa sortie.


Dead Reckoning se laisse voir, sans réelle ion ni réel déplaisir. Il aimerait bien être Fail Safe de Sidney Lumet, cet insoutenable suspense nucléaire en noir et blanc dont les enjeux se déploient à huis clos, dans des bureaux. Il en est loin.


Le fantôme du Mission Impossible 3 jamais tourné, lui, hante pour de bon ce redondant épisode final,comme un rappel nécessaire : il aurait suffi d'un peu d'audace pour transformer le plomb en or.

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Fritz_the_Cat

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