Fin de mission
C'est vrai que l'équipe d'élite, codirigée par Christopher McQuarrie et Tom Cruise, offre au cinéma un spectacle porté par une conception visuelle percutante et des séquences d'action...
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le 21 mai 2025
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J'avais quand même envie d'y aller.
Pas que je sois particulièrement fan de cette longue saga cinématographique qu'est Mission : Impossible, loin de là. À part le premier opus sorti en 1996 (presque trente ans, l'air de rien), j'ai trouvé tous les autres épisodes fades et inconsistants si bien que, jamais vraiment, l'annonce de la sortie d'un nouvel opus n'a su stimuler chez moi un véritable enthousiasme.
Et s'il est vrai que, pour cet épisode conclusif, la possibilité d'un grand feu d'artifice final a su, un bref instant, éveiller mon intérêt, les premiers retours à la sortie des salles m'ont vite fait comprendre qu'une telle attente serait bien vaine.
Pourtant, malgré tout ça, je voulais quand même voir ce dernier Mission : Impossible. C'est que, derrière cette saga totalement inconséquente, se trouve une certaine idée du cinéma d'action états-unien, à la fois en termes de dispositif technique que de forme d'influence – pour ne pas dire de suprématie – et que je restais curieux de savoir comment une telle saga allait mettre en scène sa propre sortie.
Or sur ce point-là, je dois bien l'avouer, je n'ai pas été déçu. Pas déçu notamment d'avoir observé ce sidérant déni.
La puissance américaine a perdu de sa superbe et il semblerait qu'elle soit la seule à ne pas s'en rendre compte. Et puisque, dans cette saga, c'est au travers de Tom Cruise que tout s'incarne et tout se meut, l'ironie aura donc voulu que le désastre de ce vaste déni puisse intégralement se lire à travers lui.
Ça a été mon premier choc – et de loin le plus puissant – face à ce Final Reckoning. Tom Cruise. Quel carnage. Bistourisé de partout. Cheveux traités comme jamais pour paraître soyeux malgré l'âge. Le visage rigide et bouffi comme jamais. Ce mec est devenu moins crédible visuellement que ses propres masques en latex issus du premier film de 1996. Dès ses premiers instants, ce film se retrouve lancé dans la plus impossible des missions : tenter de nous convaincre que Tom Cruise est toujours jeune et franchement fringant, comme au premier jour. Or c'est l'échec cuisant, de la première à la dix-milliardième minute de cet interminable métrage. Et pourtant chaque plan ne semble dédié qu'à cette entreprise-là : entre les cabrioles répétées et les dépoilages inopinés, tout est fait pour nous convaincre que Tom Cruise reste le mâle alpha indéable, mais en vain.
C'est même l'effarant paradoxe de ce film : il est tellement obsédé par cette double-entreprise d'effacement des stigmates du temps é d'une part et de transcendance de l'übermensch cruisien d'autre part qu'il en vient à sacrifier le peu de qualités qui restaient encore au crédit de la saga Mission : Impossible. C'est la photographie qui en fait les premiers frais. Intégrer la peau liftée de l'icône christique étant un véritable sacerdoce en soi, on assombrit toutes les scènes où Cruise apparaît en gros plan et on arrose tout ça de flairs numérisés dégueulasses. Ça permet aussi de glisser plus d'effets numériques que de raison. Portes-avions, missiles, mer déchaînée, sous-marins... On tartine de 1 et de 0 pas mal de scènes qui, pour le coup, rendent pas mal toc. Sur ce point-là, Papy peine à faire de la résistance, quand bien même parvient-il à préserver quelques scènes en décors physiques ; lesquelles constituant les rares attractions de ce final sous respirateur artificiel.
Ce serait d'ailleurs la seule (et maigre) consolation de ce Final Reckoning : constater comment le réalisateur Christopher McQuarrie tente, malgré ces nombreuses contraintes, d'offrir quelques moments bien sentis de cinéma : malgré le malaise provoqué par les nombreux emprunts maladroits (pour ne pas parler de « pillage honteux ») à l'encontre de À la poursuite d'Octobre rouge), on notera la présence louable de quelques jolis paysages et de jeux astucieux à base de lignes d'eau, lesquels seront à mettre au crédit du film.
Néanmoins, force m'est de constater que ces rares bons moments tombent généralement vite à plat tant ils sacrifient l'intrigue au service de la valorisation l'individu-roi.
Par exemple, moi, j'aurais bien aimé me laisser prendre par cette scène de cascade aérienne mise fièrement en évidence par l'affiche, mais pour cela il aurait fallu qu'elle ne se réduise pas en un simple enchaînement de figures aériennes déconnectées de toute logique. Pourquoi, par exemple, Gabriel reste-t-il tranquillou-bilou en position immobile juste au-dessus de l'avion de Hunt ? Pour avoir un oeil sur lui ? Non, sinon il se mettrait derrière lui. Pour le forcer à atterrir ? Non plus. Sinon il le pousserait vers le bas... En fait, rien ne justifie une telle position, si ce n'est celle de permettre à Ethan de grimper sur l'avion de son adversaire. En fait, cette scène est littéralement orchestrée comme une acrobatie, pas comme une scène d'action. Le but ostensible, c'est clairement de permettre à Tom Cruise de performer et non de permettre à une tension de se créer.
Et comme toute démonstration forcée qui finit forcément par virer à l'outrance, ce Final Reckoning n'échappe pas à l'absurde surenchère. Plus le film annonce des défis impossibles et plus est-on tenté de soupirer par avance. Se rendre dans ce sous-marin est incroyablement dangereux, nous dit-on ? Entre la pression, les températures sous-marines arctiques et les pièges laissés par tout sous-marin nucléaire en décomposition, aucun homme n'y survivrait, prend-on bien la peine de nous préciser ! Eh bien voyons donc ! Ethan, lui, il va te faire ça en slip, pensez-vous !
Et les soucis de décompression ?
Oh bah on va utiliser une chambre de décompression magique une fois qu'Ethan Hunt sera remonté à la surface hein ! Parce que ça s'utilise comme ça une chambre de décompression, non ? ...Ah non ? Bon bah, dans ce cas, on va l'utiliser comme une sorte de chambre à coucher ! ...Pardon ? C'est pas logique qu'Ethan dépressurise en compagnie de sa belle qui n'est même pas descendue dans les profondeurs ? Rooooh... Eh bah écoutez, on va s'en foutre. Après tout, on n'est plus à un foutage de gueule près...
C'est franchement consternant.
Il y a dans cet étrange spectacle quelque chose de profondément sidérant, je trouve.
Il y a un tel martèlement opéré dans ce film pour nous convaincre de la toute-puissance de Cruise, des États-Unis et du cinéma qui leur sont associés, qu'en définitive, on ne peut s'empêcher d'y voir un aveu de faiblesse ; aveu qui finit par se révéler dans tous les aspects de film. Car pour clamer leur suprématie, Cruise comme cette puissance américaine qu'il incarne se retrouvent de plus en plus contraints de s'affranchir du réel et, par conséquent, de toute vraisemblance.
Dans Final Reckoning, il devient nécessaire d'abolir le froid, la pression et même la logique, pour permettre la préservation de ce sentiment de puissance. Comme dirait l'autre, the world is not enough, sauf qu'ici, le problème du monde, c'est qu'il est de trop. Car à vouloir à ce point s'affranchir de tout ce qui pourrait constituer une rivalité, le film se retrouve contraint à n'afficher que des femmes dociles et des vieux serviles encore disposés à entretenir le mythe ; jusqu'à ces opposants qui attendent bien patiemment que le grand Tom fasse cette galipette qui le convaincra qu'il est encore le grand bad ass qu'il a toujours été.
Comment d'ailleurs ne pas sourire à cette déclamation conclusive lancée par Ving Rhames qui dit littéralement ceci : « Je n'ai jamais été inquiet. J'étais toujours été persuadé que tu y arriverais. Tu trouves toujours un moyen. »
Ce constat, qui se veut réconfortant pour celui à qui il s'adresse, est pourtant un impitoyable aveu d'échec. Car effectivement, dans ce monde alternatif qu'a créé Cruise – le monde idéel de ses propres fantasmes – nous, spectateurs, n'avons jamais été inquiets. Le monde était menacé d'un hiver nucléaire. Tout allait se jouer en un millième de seconde sur une improbable coordination d'actions, mais on a jamais été inquiet. On savait que ça allait se faire. On savait qu'il trouverait un moyen. À partir du moment où, dans ce monde que tu t'es inventé, tu peux faire la brasse en slip sous l'Arctique, tu peux t'en faire le sauveur suprême sans effort, si ce n'est celui d'avoir à mobiliser Hollywood pour te le matérialiser.
Ce qui me sidère dans ce comportement, c'est que Tom Cruise, à l'image de son pays et de son président, ne semble pas avoir compris que l'incantation ne suffit pas. Et alors que, de leur côté de l'écran, ils surjouent leur toute-puissance et qu'ils surjouent leur rôle de sauveur suprême, ils ne se rendent même pas compte que, de notre côté, tout un public n'aspire même plus à voir leur monde sauvé. Pire que ça, je pense que tout un public a déjà compris que leur monde n'est plus sauvable, qu'il s'écroule en partie, et qu'il ne tient plus qu'à grands coups de chocs électriques qu'on assène pour raviver de lointains souvenirs de puissance ée.
Comment d'ailleurs ne pas voir qu'a l'image de son interprète principal, ce monde n'est que raccommodages et coups de scalpel ? Ne parvenant à générer sa propre matière, il emprunte à ses prédécesseurs. Les séances nostalgies s'enchaînent à grands coups de montages commémoratifs et de guests à gogo, espérant ainsi créer pour son héros un continuum émancipé de tout effet du temps. C'est pourtant l'exact inverse qu'il finit par se produire. À tout juxtaposer, Mission : Impossible – The Final Reckoning ne fait que révéler à quel point sa formule est rincée et son univers aseptisé. Toujours les mêmes figures de femmes frigides et interchangeables ; toujours les mêmes mondes abstraits à sauver de menaces qui ne le sont pas moins.
« Il n'y a pas de nation, pas d'idéologie dans ce combat. Ça n'a rien à voir avec ça » proclame Ethan en début de film pour recruter un énième apôtre. Il ne pouvait pas y avoir de meilleur résumé à ce monde que Cruise nous a toujours vendu. Un monde vidé de tout. Un monde tellement vide que, pour cette grande conclusion héroïque, le monde – le vrai – a fini par totalement disparaitre de celui de Cruise. Il est expédié dès le départ en une secte apocalyptique qu'on ne reverra plus jamais. C'est à ça que Cruise réduit l'altérité. Une altérité qui n'a plus sa place dans son monde et qu'il finit d'ailleurs par vite oublier.
« Où sont-ils tous és ? » demande son acolyte à Ethan au moment d'investir le dernier grand théâtre de cette interminable saga. « Ils ont appris ce qui se er. Ils sont rentrés chez eux, » répond Hunt.
Ça tu l'as dit, bouffi. D'ailleurs, dans ma salle, ils ont été quelques-uns à quitter les lieux avant ce grand non-feu d'artifice final tant promis.
Il s'en est vraiment fallu de peu que je les rejoigne...
Et pourtant je suis resté. Et je suis resté au fond pour les mêmes raisons qui m'ont fait venir, malgré l'annonciation d'un spectacle de piètre qualité. Ce qui m'a fait tenir jusqu'au bout, c'est cette curiosité morbide ; celle qui consistait à observer jusqu'au bout où aller s'échouer ce cinéma mort-vivant.
Sans surprise, jusqu'à son terme, The Final Reckoning s'abîme dans son monde à lui ; un monde totalement centré autour de Cruise, de son culte et de son déni purement américain. Il s'éclipse avec le sentiment du devoir bien fait, mais non sans prendre avec lui une lampe de génie qui lui confèrerait des pleins pouvoirs dont seul lui serait digne.
Pour ma part j'avoue trouver l'image cocasse jusqu'au bout tant cette lampe – sous forme d'ampoule – résume à elle seule toute la bêtise du film. Cruise l'emporte avec lui comme un trophée, comme si, après lui, ne pourra advenir que le déluge, alors que dans les faits, le déluge a déjà eu lieu et qu'on est certainement nombreux à regarder avec un certain soulagement cette saga mettre un pied dans la tombe...
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