Farewell Cinematic Universe

Ethan Hunt sauve le monde pendant que Cruise se donne pour mission de sauver Hollywood : on connait le credo depuis le succès surdimensionné de Top Gun Maverick, qui a donné des ailes à l’acteur/producteur, mettant toute son énergie et son argent dans le double volet final de Mission : Impossible. Dead Reckoning, en 2023, avait eu du mal à convaincre, et il a donc fallu mettre les bouchées double pour sa suite qui, de réécritures en grève à Hollywood et divers incidents de tournages, devient un monstre à 400 millions de dollars.


Et surtout : les bouchées doubles, pour Cruise et McQuarrie (au scénar et à la réalisation) signifie : prendre les défauts du précédent et en pousser les curseurs dans le rouge.


Convaincu qu’il faut lui donner l’ampleur d’une coda mirifique, McQuarrie se plante sur toute la ligne dans l’écriture de ce volet. L’exposition, qui dure près d’1h20, débouche sur un clip à la gloire des opus précédents, le reste du film (2h50 !!!) s’étalant dans d’interminables dialogues où l’on répète en permanence les enjeux et les plans qu’on échafaude. Un exemple entre mille : l’explication de Luther devant la bombe, où l’on comprend l’enjeu au bout de 15 secondes, mais il faudra de longues minutes et un échange avec Hunt pour qu’on explique avec force solennité ce que tout le monde sait déjà. Le spectateur, en plus de s’ennuyer, a la désagréable impression d’être pris pour un demeuré. Les personnages ent leur temps à poursuivre les phrases de leur interlocuteur : le réalisateur y voit sans doute une méthode pour donner de la fluidité aux échanges, mais il en ressort un manque flagrant d’incarnation et d’individualisation des personnages. Tout cela ne manque pas d’ironie pour un film qui répète à l’envi que « tout est écrit » et que tout doit se er « en un clin d’œil »…


Mais le film ne se contente pas de réitérer ses faiblesses : il lorgne aussi du côté des tendances les plus pénibles du blockbuster actuel, et de cette CinematicUniversiation des franchises. Comme l’avait fait Spectre dans James Bond, il convient de faire croire à une mythologie, à des arcs narratifs reliant tous les opus, dans un bricolage amateur assez risible, exploitant des motifs ineptes des épisodes précédents pour les transformer en pierres angulaires du vide. Car l’intrigue, entre IA et méchant ricanant, comptes à rebours et artefacts à voler, n’a strictement rien à apporter au volet précédent. C’est là le grand cancer de ce film : tout réfléchir à l’échelle globale, de la franchise à l’intrigue, en nous gratifiant régulièrement d’images d’apocalypses par le globe constellé de champignons atomiques. Or, le plaisir de Mission Impossible était justement lié à l’échelle locale, qu’on se rappelle du traitement réservé à Paris dans Fallout. Ici, Londres est mobilisé pour une séquence de quelques secondes où Cruise court sur un pont. Un gâchis presque aussi grand que celui du potentiel comique de Benji, réduit à sourire mélancoliquement face à tant d’enjeux eschatologiques.


On sauvera tout de même les deux séquences majeures, et particulièrement celle du sous-marin, où l’ambition et le budget se voient enfin à l’écran. Une séquence d’autant plus salvatrice qu’on s’y tait ENFIN, et que tout e par les gestes, la dilatation du temps, le tout dans un environnement mobile inondé qui prend pour modèle le maitre James Cameron, et imiterait presque les rotations de 2001. Pour la seconde, ballet aérien pour Cruise cabriole sans filet, on irera, comme c’est de coutume, les performances du cascadeur davantage que l’inventivité de la séquence (à l’exception du jeu malin sur les vérins mécaniques), et qui a tendance à s’étirer inutilement.


Une grosse demie heure de plaisir perdue dans 2h50 de pensum. Le malaise est d’autant plus grand que dans cette intrigue vide de substance le seul propos reste l’hagiographie d’un personnage, Hunt, qui a depuis longtemps fusionné avec son interprète. On pourrait se contenter de rire lorsqu’on voit les élites du monde prendre conscience que seul Hunt peut, non pas sauver le monde de la menace, mais bien le diriger et le reconstruire moralement. C’est oublier l’ego un peu inquiétant du VRP N°1 de l’Eglise de la Scientologie qui reste en veille.

Bref. Ce volet, qu’on ne nous annone même pas vraiment comme l’ultime, a de bonnes chances de se planter, ou tout du moins d’être rentable. Voyons-y le représentant d’un ancien temps, le baroud d’honneur d’une époque révolue, quand bien même l’Amérique régresse à toute vitesse vers l’esprit des années 80. Tom Cruise vient de tourner pour Inarritu : peut-être qu’un avenir existe, should he choose to accept it.

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Sergent_Pepper

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