Cordes sensibles
La recherche de l'harmonie dans sa propre vie est déjà une tâche épuisante mais que dire de celle qui doit régner entre quatre musiciens chargés de jouer dans un quatuor éphémère, avec chacun un...
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le 8 mai 2025
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Astrid Thompson (Valérie Donzelli) et son frère (Nicolas Bridet) dirigent la fondation léguée par leur père, riche amateur de musique classique. Celui-ci avait commandé une œuvre, un quatuor à cordes, au compositeur Charlie Beaumont (Frédéric Pierrot) avec l’intention de le faire exécuter le jour où il disposerait de quatre instruments conçus par Stradivarius (1644-1737), le célèbre luthier italien. Le connaisseur peut tiquer : en quoi faire jouer une œuvre moderne apportera un plus avec de tels instruments ? On touche là un point révélateur de tout ce qui peut agacer aujourd’hui dans l’univers de la musique classique : parasité par le snobisme tout autant que par l’argent. En effet, ici tout commence par l’acquisition d’un violon pour enfin compléter l’ensemble prévu et exécuter l’œuvre selon le souhait de son commanditaire, y compris dans le choix des instrumentistes. Autant dire que le prix d’achat donne le vertige. L’autre point qui peut également agacer, c’est le comportement de certains instrumentistes virtuoses qui se comportent en divas (terme lui-même inhérent à ce milieu). Ici, George (Mathieu Spinosi) le premier violon incarne ce type de personnage dans toutes ses composantes. Feu follet égocentrique et imbu de sa personne, il agace tout le monde y compris ses partenaires. Mais il est talentueux. J’y vois une caricature à peine déguisée du violoniste Nigel Kennedy. Indice majeur, dès qu’il doit tester un violon, George revient vers Vivaldi et Les quatre saisons dont il a enregistré une version ultra-moderne.
Les premières répétitions tournent à la catastrophe. Il faut dire que Lise (Marie Vialle), la violoncelliste avait juré de ne plus jamais jouer avec George. Quant à l’altiste, Apolline (Emma Ravier), jeune fille à l’allure d’adolescente attardée (choisie par Astrid, à l’inspiration), elle profite des pauses pour retrouver son portable et maintenir l’attention de ses 700 000 followers sur Instagram, jamais à court d’inspiration pour un nouveau selfie. Le second violon, Peter (Daniel Garlitsky) pourrait jouer le rôle de rassembleur, mais c’est un malvoyant…
Atout fondamental du film, il reflète une excellente connaissance de l’univers de la musique classique. Oui, un quatuor à cordes (la formation) comporte deux violons (dont un premier et un second), un alto et un violoncelle, le premier violon étant généralement l’instrument le plus en vue lors de l’exécution d’une œuvre. En effet, le quatuor à cordes (l’œuvre) ressemble beaucoup à un concerto pour violon et orchestre, les trois autres instruments tenant lieu de mini-orchestre (mais sans chef d’orchestre). Toujours en retrait, l’alto reste dans l’ombre des violons. Quant au violoncelle, il se contente bien souvent d’assurer la rythmique, intervenant rarement dans la structure mélodique. On sent donc que la constitution d’une formation de quatre personnes pour jouer une telle œuvre peut amener des tensions du simple fait de la disparité de leurs rôles et importance, chacun ayant son ego... Le fait que Mathieu Spinosi, Daniel Garlitsky, Marie Vialle et Emma Ravier soient aussi bien (aussi bons) comédiens que musiciens, apporte énormément à leurs personnages et au film, troisième long métrage de Grégory Magne qui cosigne le scénario avec Haroun.
Le film ne se contente pas d’accompagner l’accouchement de ce quatuor à cordes. Il met en scène avec intelligence toutes les péripéties qui l’accompagnent. De nombreux détails sonnent juste pour crédibiliser l’ensemble, avec ce qu’il faut comme tension dramatique et d’humour dans un univers parfaitement décrit. Il faut voir par exemple le château de Sept-Saulx (Marne) choisi comme lieu de tournage, une belle bâtisse plantée dans un parc immense, où une statue signale le seul endroit où on capte quelque chose avec un portable. Et lorsque le groupe se déplace (pour visiter l’église où ils vont jouer, par exemple) quatre voitures s’avèrent nécessaires. Un caprice des musiciens ? Non, une exigence des assureurs en rapport avec la valeur marchande des instruments. En cas d’accident, doit-on placer un violon en PLS ??
Face à la catastrophe annoncée, Astrid décide d’appeler à la rescousse le compositeur de l’œuvre. Pas franchement enthousiaste et la tête ailleurs, le premier constat de Charlie Beaumont est sans appel. Il ne suffit pas de disposer de quatre virtuoses pour constituer une formation de qualité. D’ailleurs, sa comparaison avec une équipe de foot tombe à pic, alors qu’un club français vient de se qualifier pour la finale de la Ligue des Champions en jouant justement en équipe (soyons justes, il y eut une autre finale en 2020, avec les stars de l’époque).
Le souci, c’est que Charlie Beaumont ne se rappelle plus vraiment de ses intentions d’il y a trente ans… Par contre, il évoque son goût pour la musique qui lui permet de déer le langage (la parole) pour privilégier le dialogue par les sons des instruments, les échanges corporels et le jeu des regards. Finalement, pour leur donner une image de ce qui doit les inspirer, il évoque les vols d’étourneaux qui changent de direction à l’instinct tout en restant groupés.
Par petites touches qui s’enchainent très naturellement, le film nous présente le travail des musiciens et montre qu’entre ces deux hommes et ces deux femmes dont les caractères et les relations ées se révèlent, l’alchimie pourrait se faire. Ce film à la durée raisonnable nous vaut donc quelques bonnes surprises, grâce à un casting bien équilibré où tous se mettent au diapason.
Petite déception quand même pour le concert final dans l’église. On n’en voit que le début, mais ce que le quatuor joue (composition signée Grégoire Hetzel) s’avère nettement moins enthousiasmant que ce qu’on entend pendant les répétitions. Si des gros plans sur les instrumentistes (leurs échanges de regards) et le compositeur en disent long, le public est complètement oublié, au point qu’on ne l’entend même pas (pas le moindre raclement de gorge). Et pour conclure, pourquoi ce titre e-partout pour un film si bien construit ?
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Créée
le 11 mai 2025
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