Premier long métrage tourné à dix-neuf ans, J’ai tué ma mère s’inscrit dans cette tradition des œuvres de jeunesse qui portent en elles non seulement la fulgurance du geste inaugural, mais aussi la conscience douloureuse de ce qu’il en coûte d’être au monde. Ni exercice de style, ni démonstration de virtuosité prématurée, J’ai tué ma mère est une tentative de capter l’adolescence dans ce qu’elle a de plus indomptable, de plus fêlé, de plus lumineux aussi.
Dans l’imaginaire dolanien, la mère n’est jamais un monstre, mais elle ne peut pas non plus être simplement aimée. Chantale est une femme trop réelle pour l’icône que fantasme son fils. Le regard d’Hubert (souvent chargé de mépris, de lassitude, mais aussi de désir de réparation) devient le véritable champ de bataille du film.
À travers Hubert, Dolan donne forme à cette identité adolescente en fusion, mouvante, toujours à la frontière de l’implosion. Il n’y a pas de neutralité chez lui : tout est sentiment, projection, théâtralité du moi.
Le jeune cinéaste érige l’esthétique en armure : ralentis, visages surexposés, inserts en Super 8, confidences murmurées à la caméra. Autant de dispositifs qui transforment le mal-être en matière plastique. Les gestes précurseurs d'un maniériste.
Le titre est programmatique, mais il est aussi mensonger : il ne s’agit pas de tuer, mais de dire qu’on n’y parvient pas. La violence du film est d’abord une stratégie de défense contre un attachement trop vif, une tentative de se libérer d’une dépendance fondatrice. Mais Dolan, malgré son âge, sait déjà que l’émancipation n’est pas un acte, c’est un processus : douloureux, labyrinthique, souvent inabouti.
La dernière séquence, où Hubert revient dans sa maison d’enfance et regarde les photos de lui petit, marque ce retournement. Ce n’est pas l’effacement du é qui soigne, mais sa réappropriation. Ce moment suspendu contient en lui toute la maturité tragique du film : il faut réintégrer la mère pour pouvoir, peut-être, la quitter autrement que dans la haine.