Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll s’inscrit dans une veine de cinéma français rare, celle qui déploie ses tensions sous le masque du calme. Ici, le suspense ne naît pas d’un danger immédiat, mais d’une proposition : et si l’on vivait mieux en se délestant de ce qui encombre, jusqu’à l’élimination des autres ?
Avec son sourire affable et sa diction sucrée, Harry s’invite dans la vie de Michel comme une bénédiction inespérée : ami bienveillant, mécène. Mais derrière cette façade de courtoisie, il incarne une figure insidieuse délesté de toute culpabilité.
À travers lui, Dominik Moll met en scène une forme contemporaine de manipulation : celle qui n’impose rien mais suggère tout, qui ne force pas mais invite,. Harry n’est pas le Mal en action, il est la logique du progrès personnel appliquée aux affects. Il ne tue que pour faire place, pour libérer le sujet de ses entraves.
Michel n’a rien d’un héros. Il est un homme accablé de responsabilités, un père débordé, un créateur paralysé, un sujet comme tant d’autres, étranglé par les petites violences du quotidien. Harry entre dans cette zone de fatigue avec une promesse : celle de redonner du souffle, du temps, de l’espace. Mais ce soulagement a un prix.
Ce que le film capte avec une précision clinique, c’est la manière dont Michel glisse de la méfiance à l’acceptation, de la gratitude à la complicité tacite. Ce que Harry accomplit par la violence, Michel l’autorise par ivité.
Harry est l’ami idéal, mais il est aussi, et surtout, le double. Il dit ce que Michel n’ose pas formuler, fait ce qu’il ne peut assumer. Il est l’autre soi, libéré du poids moral, désentravé. En ce sens, Harry s’inscrit dans une longue généalogie de récits où l’alter ego révèle le refoulé : de L’Inconnu du Nord-Express à Fight Club.
Là où le film devient le plus politique, c’est dans sa manière de cerner un imaginaire masculin contemporain : celui d’un homme empêché, qui rêve d’un retour à soi, mais ne sait comment faire autrement qu’en éliminant. Harry pousse Michel à écrire, mais c’est à la condition de "faire de la place".
Ce portrait de la virilité créatrice est glaçant. Il révèle l’idéal patriarcal sous une forme pervertie. Le care, la parentalité, l’horizontalité des liens : tout cela devient bruit, charge, entrave.
Plus qu’un thriller psychologique, Harry, un ami qui vous veut du bien est un film sur les formes contemporaines du mal sous l’apparence du service. Il ne s’agit pas de diaboliser l’amitié, mais d’en exposer le double fond : le moment où le soutien devient injonction, où l’encouragement devient emprise, où la bienveillance devient outil de domination.