Le cinéma roumain est souvent assimilé à des films froids, secs, sans concession, bien moroses, qui donnent envie de s'enfiler des litres de țuică jusqu'à l'inconscience et la cirrhose. Et c'est vrai en bonne partie. En bonne partie seulement, car il y a quelques œuvres qui adoptent un tout autre ton, à l'instar de Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé.
C'est un récit choral suivant la trajectoire de six protagonistes, dont les destins vont être liés, plus ou moins indirectement.
Alors, on est le 20 décembre 1989, à Bucarest. Personne dans la population ne s'en doute encore, malgré les lointains échos étouffés de manifestations contre le régime à Timișoara, mais la dictature de Nicolae Ceaușescu – tout comme celui qui l'incarne, d'ailleurs – vit ses derniers jours. La mère d'un officier de la Securitate est désespérée de devoir quitter sa maison qui va être détruite à cause de la folie de reconstruction mégalomaniaque du « génie des Carpates ». Une actrice de théâtre se voit contrainte, à son grand écœurement, de chanter les louanges du « Conducător » dans un programme télévisé de fin d'année. Le fils du réalisateur du programme, quant à lui, essaye, avec un camarade de faculté, de quitter clandestinement le pays par le Danube. Et un déménageur apprend avec horreur que son rejeton a envoyé une lettre au Père Noël, avec le nom et l'adresse de l'expéditeur, dans laquelle il a écrit que le cadeau que souhaite recevoir son père est la mort du « vieux Nico » ...
Le propre de la comédie est de faire se marrer de personnages qui, si on adopte leur point de vue, vivent un drame. Ben oui, parce que, contrairement à ce qu'on aurait pu penser vu le sujet et la nationalité du film, les zygomatiques sont très actifs devant la plupart des mésaventures que subissent nos malheureux. Il faut bien dire que – la débilité de la dictature dans laquelle ils tentent de se dépatouiller étant un terreau idéal pour cela – ce qui leur arrive est parfois tellement absurde qu'il est difficile de ne pas préférer en rigoler.
Cet objectif est irablement servi par des dialogues percutants, par des interprètes parfaits ainsi que par un rythme vif, ne faisant qu'aller crescendo au fur et à mesure qu'on avance dans le film. Le style visuel documentaire – grain d'images terne et grisâtre, caméra portée – et le soin apporté à la reconstitution de cette période renforcent l'impression de réalisme. Et pour celles et ceux qui seraient tentés de contester le fait que les Roumains de cette époque se débattaient dans une telle atmosphère, le réalisateur prend un malin plaisir à les contredire à travers une preuve irréfutable, intégrée après le générique de fin (ne partez pas avant la dernière seconde !) : une véritable archive télévisée, qui pousse à un éclat de rire de conclusion.
Et par le biais de toute cette multitude d'intrigues, Bogdan Mureşanu – dont c'est le premier long-métrage (il est évident qu'après cette réussite, je suivrai sa carrière de près !) – parvient à mettre en relief toutes les tares du pays, lorsqu'il était tyrannisé par le « Danube de la pensée », en plus de raconter, d'une façon efficace et prenante, la grande Histoire par de petites histoires.