La réception de ce moyen métrage (42 minutes) signé Leos Carax ouvre à mon avis (au moins) deux possibilités. Si vous ne savez pas trop à quoi vous attendre et/ou que vous ne connaissez pas spécialement le réalisateur, attendez-vous à quelques surprises, car il s’agit d’un film expérimental à tendance autobiographique qui risque fort de vous déconcerter. Si vous connaissez la filmographie du réalisateur, le jeu des interprétations vous tend les bras.
A la base, il s’agit d’une commande du centre Pompidou, dans le cadre d’une exposition qui finalement a été annulée. Le réalisateur répondait à la question « Où en êtes-vous Leos Carax ? » Y avait-il un cahier des charges, un dialogue entre les commanditaires et le cinéaste ? Peut-être même un tournage avorté. Aucune idée. Ceci dit, imaginons une possibilité du genre sujet d’examen « Vous avez 40-45 minutes pour nous parler de vous. Top chrono ! » tout en sachant que le centre Pompidou est le lieu dédié à l’art moderne dans Paris. Il ne faut donc pas trop s’étonner de la forme et aussi d’un rythme assez effréné, surtout dans un premier temps.
Quant au fond, on peut en dire pas mal de choses, car Carax parle de lui et de son époque, par l’intermédiaire de quelques extraits judicieusement placés de sa filmographie, essentiellement les meilleurs à mon avis que sont Mauvais sang (1986) et Holy motors (2012) mais aussi Les amants du pont Neuf (1991) et Annette (2021) alors que je n’ai rien repéré pour Boy meets girl (1984), son premier long métrage. Visiblement, son idée d’artiste est qu’il ne peut pas se contenter de recherches visuelles pour séduire les esthètes (sans pour autant les ignorer), mais que son devoir est au minimum de se (nous) questionner sur ce qui lui paraît important aujourd’hui, tout en se positionnant comme cinéaste, avec ses références. Le film est donc une forme d’hommage à Jean-Luc Godard (mort le 13 septembre 2022) dont il se montre ici un héritier du point de vue des recherches quant à la façon d’utiliser les possibilités narratives du septième art. Et puis, le cinéaste s’inquiète de l’état de notre monde. A sa façon, il cherche à provoquer les réactions en insinuant que le é nazi pourrait nous rattraper. Dans le même ordre d’idées, et c’est une... Bonne-Nouvelle, il met en scène une séquence volontairement choquante dans le métro parisien pour illustrer l’égoïsme rampant qui nous mine. Ce qui rappelle qu’il aime ce lieu, puisqu’il y situait une scène fondamentale dans Mauvais sang, film où nous revenons indirectement quand il montre une vignette de l’album de Tintin - L’étoile mystérieuse avec le « prophète » Philippulus annonçant la fin du monde, alors qu’un astéroïde qui s’approche de la Terre fait monter la température de l’atmosphère, ce qui évoque évidemment le réchauffement climatique. Enfin, Carax s’applique à démontrer les effets désastreux de l’accélération dans tous les domaines. C’est d’ailleurs le point contradictoire à mon avis dans ce film, puisque le début du film va dans le sens de la frénésie qui s’empare de notre monde. Mais cela lui permet d’illustrer à sa façon l’aphorisme cher à... Jean-Luc Godard qui définissait ainsi le cinéma « La vérité vingt-quatre fois par seconde ». Enfin, un petit coup de gueule pour déplorer le rallumage des lumières dans la salle où j’ai vu ce film, au début du générique de fin, alors qu’un panneau indiquait sans ambiguïté qu’il fallait guetter une sorte de bonus après ce générique. Avis aux directeurs.rices de salles, soyez professionnels et respectueux de l’œuvre que vous montrez et faites en sorte qu’on puisse voir ce film dans des conditions correctes jusqu’à la fin !
Reste la question du titre, dont l’interprétation est discutable. La plus simple consiste à dire que si le film parle de Carax, ce n’est pas lui, un peu comme la pipe peinte par Magritte n’est qu’un dessin justifiant le commentaire « Ceci n’est pas une pipe ». On peut aussi le prendre de façon plus ironique, en considérant que la formule évoque les dénégations des fautifs en tout genre qui nient même face à l’évidence. Plutôt que d’imaginer Carax se dégageant de toute responsabilité quant à la marche désastreuse de notre monde, je le sens reprendre cette formulation très primaire pour nous provoquer : si notre monde fonctionne si mal, ce n’est pas à cause d’une seule personne. Rejeter éternellement la faute vers les autres relève de l’infantilisme. Si vous préférez, ce n’est pas parce que certains se permettent des comportements irresponsables qu’il faut se sentir autorisés à les imiter. Bref, ce film patchwork n’a évidemment rien d’anodin.