Dans ce moyen-métrage d'une durée de quarante minutes, qui aurait dû être diffusé dans le cadre d'une exposition au Centre Pompidou, qui n'a finalement pas eu lieu, Léos Carax a beau dire que ce n'est pas lui, c'est tout de même principalement de lui qu'il parle ici.
Et il fait son Godard aussi. Enfin, ce n'est pas la première fois étant donné que pour son premier long-métrage, Boy Meets Girl, il était godardien à fond. En tous les cas, avec ses nombreux intertitres, d'une couleur vive pour la plupart, succincts et abscons, ses ruptures sonores brutales et fréquentes, le fait que Carax assure lui-même la voix-off, partageant avec son maître un timbre semblant sortir d'outre-tombe et bien brouillé par la nicotine, un montage obscur ant du coq à l'âne.
Le tout est un mélange entre extraits d'œuvres classiques du cinéma américain et du cinéma français, de ses propres films, d'images d'archives, de séquences privées (sur son enfance, sur son père !) et de scènes tournées pour les besoins du moyen-métrage, à l'instar de celles dans laquelle il se met lui-même en scène, comme s'il était sur son lit de mort, faisant le film de sa vie, met en scène sa fille (qui est le véritable sosie de sa tragiquement disparue mère, c'est troublant !) et fait appel, à un moment donné, à son comédien fétiche, Denis Lavant, qui reprend, pour l'occasion, son rôle de Monsieur Merde.
Celles et ceux qui connaissent la vie du cinéaste saisiront quelques références. À l'occasion, Carax n'hésite pas à se montrer ironique et à asticoter le spectateur, en particulier lors de la partie consacrée à Roman Polanski, au cours de laquelle il fait croire, dans un premier temps, qu'il victimise le réalisateur de La Jeune Fille et la Mort, qu'il prend, sans la moindre mesure, sa défense, notamment en exposant leurs points communs (petit, blanc, hétérosexuel, juif, que des atouts dans notre monde d'aujourd'hui !), avant d'asséner un bon coup d'implacable réalité en une seule phrase, la dernière sur le sujet.
Le seul aspect qui m'apparaît bâclé, ici juste pour faire genre "cela va bien au-delà du simple autoportrait", c'est quand il sort du cinéma pour évoquer le contexte international. Ce qui est son droit le plus total et qui aurait pu être intéressant s'il n'était pas resté à l'état de superficialité. Non, Léos Carax, on ne peut pas mettre gratuitement Trump, Netanyahu, Poutine, al-Assad, Kim Jong-un dans le même panier. Alors, certes, ce sont tous de très grosses ordures, méritant de er devant un tribunal, je ne vais pas nier l'indéniable. Mais quand on balance leur photo, on creuse, on dit pourquoi, on ne se contente pas juste d'insulter lors du générique de fin. Et pourquoi uniquement eux et pas, par exemple, Bush, Blair, Obama, Merkel ou Sarkozy. Eux aussi, ils ont une grande responsabilité dans le chaos qu'est aujourd'hui notre monde. Quitte à fourrer tout le monde dans le même panier, autant y aller à fond...
C'est regrettable qu'il y ait cette fausse note, car cet essai cinématographique introspectif, laissant une grande liberté d'interprétation stimulante aux spectateurs, propose une expérience visuelle et sensorielle surprenante, imprévisible et parfois envoutante.