Il est fréquent qu’on insiste auprès de quelqu’un qui ne se dit pas convaincu par une série : accorde-lui du temps, laisse l’univers s’installer, attends encore quelques épisodes avant d’abandonner.
La première distinction de True Detective est justement son éblouissant pilote : tout, dès le départ, fonction avec une mécanique implacable : à l’issue d’un générique absolument classieux, l’atmosphère est brillamment posée par les personnages torturés à l’accent du sud des paysages envoûtants. A cela s’ajoute une construction maline, via le va et vient entre les deux époques, le teasing en flash forward et le parti pris d’une enquête qu’on sait déjà caduque.
Toutes les qualités de la série de grande ampleur sont donc convoquées : casting de haut vol (mention spéciale à McConaughey ici bien plus méritant que pour l’oscarisé Dallas Buyers Club), vision radicale d’une humanité à la dérive et dissertations philosophique sur le pessimisme au volant d’une bagnole lancée sur les routes d’un pays en pleine décadence morale et financière. True Detective a la noirceur d’un David Peace et les saveurs d’une enquête au long cours sans rédemption d’un James Ellroy. Les familles se décomposent, les démons intimes empêchent de faire de la résolution d’une enquête la voie du salut pour l’humanité toute entière. Le récit lui-même, contaminé par ces béances, joue de la vérité et des versions officielles, et renvoie au spectateur une comédie humaine sans concessions.
Premières victime de ce nihilisme généralisé, les flics eux-mêmes et la mythologie des cop partners. Ici aussi, on annonce dès le départ une rupture et une entente impossible, et le lien entre eux, professionnel et intime, est un des éléments les plus intéressants dans les développements de l’intrigue : de la même manière que la vie conjugale semble être une illusion, l’amitié ne peut réellement se déployer sans qu’on se fourvoie.
Ambitieux dans son esthétique, la série confirme ici qu’elle n’a plus rien à envier au cinéma. Doté d’une photographie splendide, elle joue sur la végétation des marais et les prise de vues aériennes qui elles aussi paraissent mélancoliques par la miniaturisation des personnages perdus dans un écheveau absurde de voies bitumées. Le très ambitieux plan séquence de la fin du quatrième épisode, grand moment de tension (pourtant logé autour d’un développement secondaire assez artificiel) achève la démonstration.
Les qualités abondent donc, et c’est peut-être là la légère limite de la série. Parce qu’elle a commencé si fort, la série déploie des ambitions qu’elle va avoir du mal à tenir sur la durée. Les derniers épisodes le confirment : ce n’est finalement qu’une énième histoire de tueur en série qu’on nous sert, et l’on est en droit d’être déçu d’une finalité aussi pauvre au regard de tout ce qui a précédé. Les qualités n’en sont pas amoindries, mais constater ce retour dans les rails d’un récit formaté est particulièrement frustrant tant le récit paraissait au départ s’en affranchir.
Affaire à suivre, donc. Le fait d’annoncer une saison deux qui renouvelle entièrement le casting et les lieux de l’intrigue est en soit une bonne nouvelle.
Ambitieuse, de grande qualité, True Detective porte de grandes promesses légèrement émoussée par une certaine frilosité. Si elle ajoute à sa noirceur assumée le courage de briser les codes en vigueur, elle pourrait à l’avenir compter parmi les indispensables.