Après L'étreinte du serpent, contemplatif et Les Oiseaux de age plus radical, Ciro Guerra s'essaie au mode sériel pour tourner quelques épisodes de la première série Colombienne Netflix Frontera Verde. Un portrait de la tribu Nai et ses immortels, gardiens d'une nature en danger, qui vient se greffer sur l'actualité des feux de forêt semblant réveiller les consciences d'une fin programmée à l'œuvre depuis longtemps. Si le sentiment d'impuissance prévaut, on regarde cette mini série avec jubilation, à la fois pour son message écologique et humaniste que pour son intrigue à la lisière du fantastique, répondant aux attentes du thriller et permettant ainsi de cibler un plus grand nombre.
On se souvient des nombreuses interventions de Raoni Metuktire pour sortir de l'anonymat et que dernièrement Bolsonaro ne tente de réduire les actions menées. Evidemment.
Si la forêt vierge, fantasme occidental par excellence a donné lieu à nombre de romans et de fiction - Herzog nous avait gratifié d'un envoûtant Fitzcarraldo - qui rappelle à la main mise et la folie des hommes, c'est ici l'occasion à mettre en valeur une communication à l'invisible toujours réconfortante, nous ramenant à notre condition pour une humilité bien nécessaire. La magie, les traditions ancestrales et la transmission, sont mis en valeur par un jeu de temporalité décalée nous baladant entre réalité et mythologie.
Dès l'introduction on est happé par une ambiance hors du temps où la caméra au ras du sol et par un long travelling, nous montre les corps de femmes assassinées et laissées à l'abandon, où seuls les bruits de la forêt résonnent, accompagnés par une envoûtante voix off indigène nous racontant la jungle, mère de tout, soumise au démon blanc.
La caméra s'élèvera à plusieurs reprises nous faisant profiter de cette nature grandiose, de ses envolées d'oiseaux et de ses tribus qui épousent le rythme tranquille de son fleuve, en regard de l'homme blanc, voulant changer le monde et prêt à toutes les exactions. Parfait symbole de l'ignorance.
Une jungle oubliée de la grande ville Bogotá et de ses belles rues pavées aux façades colorées, qui enverra sa jeune enquêtrice (l'excellente Juana del Río) au fin fond d'une bourgade désolée, se confronter à une police locale incompétente et misogyne pour résoudre l'affaire. Femme libre aux coups de boules spontanés pour un personnage à haute valeur charismatique et aux réponses adaptées des plus jouissives.
Antonio Bolivar, Nelson Camayo, Angela Cano, Andrés Crespo et l'intriguant Miguel Dionisio Ramos ajoutent au mystère.
On navigue au cœur du sacré et de la jungle sans que celle-ci ne soit d'ailleurs magnifiée. Les teintes ne jouent d'aucun effet de lumière. Seul le sentiment parfois étouffant de la densité et de la solitude, où les bruits légers de la forêt et les incantations seront assombris par le bruit des tronçonneuses et le fracas de la chute des arbres, et qui feront se redre les caractères contraires pour la survie des tribus et par extension du monde.
Avec quelques rebondissements propres au divertissement, mettant tous les seconds rôles d'importance, on peut regretter que la résolution ne tourne qu'autour d'Héléna pour ancrer le personnage comme central à tous les événements, et aura pour conséquence d'amoindrir la portée universelle et intemporelle du propos. Mais tout est affaire d'ambiance et si la série The Third day s'essayait également aux jeux temporels sur une île mystérieuse considérée par ses habitants comme le cœur du monde, on était bien loin de toute la poésie et la force qui transpirent de Frontera comme un grand souffle d'air pur, les liens à la nature étant le cœur de l'intrigue.
Nous vient à l'esprit certaines belles histoires fantastiques de Laurent Gaudé et ses invitations aux voyages et dans une moindre mesure tout le réalisme magique des auteurs Chiliens.
Gros coup de cœur.