Au service de la
7.2
Au service de la

Série Arte (2015)

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Critique Tamponnée

     Au service de la , ou comment ne pas reconnaître un nouveau coup de génie signé Jean-François Halin, dont la plume élégante, précise et irrévérencieuse enduisait déjà d'or les tordantes répliques d'un certain Hubert Bonisseur de la Bath - autrement nommé OSS 117. 

Satire acerbe de l'istration française durant les années gaulliennes, le comique ici déployé circule magistralement entre les veloutés de verbiages absurdes, enrobés d'exquis calembours de non-sens, et les décalages dynamiques du jeu de chaque actrice et de chaque acteur, jonglant de la retenue apparente à la décontraction la plus hilarante, jusqu'à embrasser - pour notre plus grand plaisir - des courbes de faquins sophistiqués, des allures de clowns distingués, qui rendent chacun des personnages, qu'ils soient arrogants ou sots, d'une sincérité attachante.
Car si la série s'impose de toute évidence comme une grande réussite, c'est surtout parce qu'elle triture à l'écriture la langue française avec une telle dextérité que l'absurde et le beau ne font plus qu'un.
Deux choses ainsi émergent centralement : d'une part, le ridicule des protocoles de l'istration française, qui se masturbe tellement sur son propre langage codé qu'elle en dégage une novlangue vide de substance, et d'autre part, à travers les subjectivités colorées de chaque personnage, se révèle quelque chose de presque poétique, notamment dans la parole - dira-t-on l'art de la rhétorique - massacrée par des sophismes savoureux et des quiproquos magistraux, sans jamais obstruer la trajectoire narrative - oh combien maîtrisée et crédible dans le genre de l'espionnage !
Et comment !
C'est tout de même rare qu'une production française soit aussi aboutie, non seulement en terme de dramaturgie, mais qui plus est du côté de la mise en scène. Cadrages pondérés, couleurs sobres, lumières élégantes teintées d'un clair-obscur qui renvoient à la période 60's de Melville : cet amour de la forme, de la rigueur et de l'équilibre permet dans cette optique d'instaurer l'espace nécessaire à l'émanation jubilatoire des conneries les plus mystiques que quiconque n'aura jamais entendu dans sa vie.
Quel culot que de charrier l'incharriable !
Blaguer sur le Général, ironiser sur la Colonisation, convoquer les vieux démons de la collaboration, se payer les cocos, les nazis, les extrémistes en tout lieu, en retraçant judicieusement le contexte géopolitique de la Guerre Froide, de la Décolonisation, des Trente Glorieuses, et enfin, s'am avec habileté du racisme sincèrement con de ces agents supposément d'élites, et malgré tout si bien tenir la ligne scabreuse qui sous-tend la dramaturgie, sans jamais tomber dans la surenchère, dans la maladresse douteuse, dans le mot de trop : c'est assurément politiquement pas très correct - mais de grâce que c'est jouissif ! Car les horreurs joliment dîtes, sans être prises à la légère et rendues inoffensives par le refus de la complaisance avec quiconque, deviennent dès lors des éclats de libertés dont le monde contemporain, en pleine crispation identitaire, a plus que besoin !


Sculptée dans un marbre étincelant, cette série se déguste du regard et des oreilles par sa richesse, sa densité et son authenticité.
Au service de la , c'est un pot permanent, un apéro étrange, un peu acide, où chaque cigarette et chaque coupe de champagne suintent autant la merde que l'eau de Cologne.


CQFD.

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Créée

le 10 août 2021

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François Thieulen

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