Clair-Obscur

[Attention aux spoil]

Vol de nuit est le premier roman que je lis de Saint-Exupéry, en dehors du sempiternel Petit Prince que j'ai probablement feuilleté quand j'étais enfant, mais dont je n'ai plus beaucoup de souvenirs.

Au-delà du sujet de l'aviation, le livre traite plus généralement de la condition humaine et de la question des destins individuels face aux destins collectifs, aux forces d'actions.

Rivière est un istrateur inflexible et dur, Fabien un pilote avec une vie de famille. Robineau, l'inspecteur, un esprit sensible et malheureux. Tous ces personnages se retrouveront d'un côté et de l'autre d'une tragédie ; un avion disparu avec ses pilotes. Pourtant, Rivière refa jusqu'au bout de renoncer à son grand projet : la pérennisation des vols de nuits, particulièrement dangereux à cette époque, dans le but de servir l'aviation face au train.

Rivière pourtant ne déteste pas les hommes qu'il traite si durement, mais croit simplement en un projet plus impérieux que les destinées individuelles, quitte à les sacrifier comme un général dans une bataille. Ce personnage paradoxal, que l'on peut aisément hair, se questionne parfois sur sa certitude mais continue à agir conformément à la mission qu'il estime lui avoir été donnée. Son choix ne relève-t-il pas pourtant de l'égoisme, de la priorisation de ce qu'il estime être sa destinée individuelle (servir la grande histoire par l'aviation) vis à vis de celles de ses pilotes ? Il est aisé de trouver chez Rivière la grandeur du héros maudit et le texte nous y invite. Sans doute est-il plus dur, emporté par la puissance poétique de Saint-Exupéry de revenir, une fois le livre terminé, vers notre jugement initial pour estimer que Rivière est monstrueux. C'est pourtant mon inclinaison personnelle, et c'est sans doute ce qui explique que je ne suis pas militaire.

"Tous ces hommes, je les aime mais ce n'est pas eux que je combats. C'est ce qui e par eux"

Rivière est le véritable héros du Vol de nuit. Il n'a pas la prétention de condamner ceux qui estiment les destinées individuelles plus importantes que leur somme, mais croit à titre personnel que l'essor de l'aviation ou les ponts justifient des pertes humaines, car ces créations demeurent après la mort. Sans doute pourrait-on mettre sa croyance en parallèle avec ce que Malraux estime être la culture : le dialogue entre les vivants et les morts par des oeuvres ayant vaincu "les puissances de la nuit", c'est à dire la Mort.

La prose de Saint-Exupéry, nourrie par son expérience d'aviateur et son talent poétique pour façonner des images à partir des ténèbres et de la lumière en fait en outre un véritable bonheur pour l'amateur de poésie. La scène où Fabien se trouve au-dessus de la tempête est peut-être l'une des plus belles poésies que l'on peut imaginer dans un roman.

J'ai beaucoup aimé ce texte court et profond. Je veux enfin terminer cette critique trop longue par le dernier message radio du navigateur Alain Colas qui m'était resté en mémoire, je ne sais pourquoi. Sans doute retranscrit-elle pour moi l'esprit de certains ages de ce texte : la solitude terrible de ces forçats soumettant la terre, le feu et le vent dans une quête d'absolu.

Je suis dans l'œil du cyclone. Il n'y a plus de ciel, tout est amalgame d'éléments, il y a des montagnes d'eau autour de moi.