D’une grande finesse psychologique

Comble de l’ironie pour lui qui enseigne l’écriture créative à l’université, le célèbre écrivain américain Frédéric Altman, aussi prolifique qu’il ait pu être jusqu’ici, ne parvient plus à écrire. En plein doute et au bord de l’effondrement, le voilà de surcroît laissé à ses désormais insolubles interrogations lorsque sa mère s’éteint en EHPAD et emporte avec elle le secret de sa naissance.


Instable et sujette aux addictions, cette femme trop dévorée par ses propres manques affectifs pour assumer un enfant, qui plus est sans père, l’avait très vite oublié dans son pensionnat pour se consacrer corps et âme à son métier de critique littéraire, façon comme une autre de combler un vide émotionnel creusé par la peur de souffrir. « La culture et les idées, plutôt que les doutes et la tendresse. À prendre ou à laisser. » C’est ainsi qu’avec la littérature pour seule monnaie d’échange avec sa mère, le narrateur avait fini par devenir écrivain, colmatant à son tour les carences et les non-dits par l’invention d’histoires inspirées de la sienne. De quelles soufs sa mère se protégeait-elle donc ? Surtout, qui était cet homme, dont elle s’obstinait à fuir le souvenir jusqu’à priver son fils ne serait-ce que du plus petit indice identitaire ?


Mais une petite photographie, retrouvée dans les maigres affaires de la morte, vient peut-être ouvrir la piste de la dernière chance. Jeune et pour une fois souriante, sa mère s’y tient radieuse aux côtés d’un inconnu. Intrigué, Frédéric Altman entame une longue quête qui, en même temps qu’il se souvient et essaie de reconstituer le parcours maternel, l’emmène, depuis les archives de l’université Columbia, à New York, sur les traces de l’étudiant de la photo, un Français devenu à Paris un scientifique de renommée internationale.


Alors qu’en incessants allers retours entre hier et aujourd’hui, l’on observe le narrateur se débattre avec les béances d’une filiation en e d’engloutir ce qu’il pensait pourtant être devenu, l’introspection se fait quête de sens et recherche d’une issue. Il faut d’abord accepter les contours de l’ime pour ne pas s’y laisser enfermer, isolé des autres par l’expérience du manque et de la perte, puis trouver la nouvelle voie menant à la résilience et à la façon de tenir debout au-dessus de l’abîme. Dans son désarroi, le personnage apprend à faire avec les parois auxquelles il se cogne – ce degré de séparation qui est propre à chacun de nous et sur lequel nous bâtissons notre rapport au monde et à autrui. Alors peut-être pourra-t-il trouver dans l’écriture cette planche de salut qu’à sa manière, sa mère avait désespérément cherchée dans le métier de critique littéraire.


D’une grande finesse psychologique, ce premier roman très maîtrisé explore fort joliment la perte, la quête de soi et les ressorts de la création artistique dans un récit aussi poignant qu’addictif.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

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le 8 mai 2025

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Cannetille

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