Raison et Sentiments
7.6
Raison et Sentiments

livre de Jane Austen (1811)

Les bons sentiments...

Ce roman reprend les caractéristiques des œuvres sentimentales traditionnelles : des personnages extrêmement fouillés, une psychologie fine, complexe et subtile, de nombreuses interventions du narrateur et très peu d'action. On pourrait compter les événements de ce roman sur les doigts d'une main. Mais ça ne l'empêche pas d'être une grande réussite.
Nous avons donc deux sœurs, Elinor (la raison) et Marianne (les sentiments). Le roman va mettre leur parcours en parallèle : rencontre de l'amour et déception arrivent presque en même temps pour toutes deux. Mais leurs réactions sont bien différentes : Elinor va s'efforcer de prendre du recul et de ne pas se laisser envahir par ses émotions, tandis que Marianne se laisse déborder par tout ce qui lui arrive.
On sent clairement dans les propos du narrateur un critique contre Marianne et (plus en filigrane) une attaque contre le romantisme et son exaltation des sentiments exacerbés. Mais Elinor n'est pas non plus exempte de reproches (même si je la préfère). Son recours à la rationalisation n'est qu'un moyen d'étouffer ses sentiments (et encore le procédé n'est-il pas toujours très efficace).

Mais réduire ce roman paradoxalement foisonnant à une simple peinture des sentiments est une erreur. Le livre est aussi une critique contre la société roche et oisive (et souvent très bête, si l'on en croit Jane Austen) qui dirige le pays. Le roman se présente comme une suite de scènes de salon, avec ses conversations vides et son inable hypocrisie. Tout le monde prétend respecter les valeurs et veut les imposer aux autres, mais combien le font réellement ? Plus on avance dans la peinture de ce monde clos, plus on en découvre la pourriture. Le principal responsable est l'argent, qui guide les pensées et remplace les sentiments. Pour l'argent, on organise des mariages arrangés. Pour l'argent, on reste malheureux. Pour l'argent, on exclut des membres de sa famille. Tout se fait au nom des rentes que l'on pourrait recevoir, ou de ce que l'on ne voudrait pas dépenser. C'est à un point tel que tout le monde est surpris lorsqu'un couple décide de se marier par amour et refuse d'annuler cette union pour de l'argent !

Les hommes sont très présents dans les pensées des personnages, mais ce roman reste une œuvre de femmes. Les personnages principaux sont tous féminins. Ce sont les femmes qui dirigent les famille, qui décident des dépenses et qui autorisent les relations entre les familles. Elles régissent entièrement ce monde des salons où les hommes sont muets ou futiles (quand ce ne sont pas des salauds).

En bref, un grand roman, critique, ironique, parfois même cynique. Une œuvre qui n'est pas aussi lisse qu'elle n'y paraît. L'écriture est remarquable de finesse, de délicatesse, mais n'hésite pas à montrer la cruauté et à dénoncer un monde renfermé sur des principes qu'il prétend moraux mais qui sont vénaux.
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le 13 juil. 2012

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SanFelice

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