Après son retentissant premier ouvrage Consentement qui détaillait sa relation sous emprise avec Gabriel Matzneff – elle avait quatorze ans, lui cinquante –, Vanessa Springora poursuit sa trajectoire littéraire avec un nouveau récit tout aussi accompli et magistral sur cette fois l’emprise du é, au travers du parcours secrètement trouble de son grand-père et des désordres psychologiques qui en ont découlé chez son père.
Cela faisait très longtemps que l’auteur n’avait quasiment plus de avec son père, mythomane et toxique, lorsque l’annonce subite de son décès en 2010 la contraint à se rendre dans son appartement pour le vider. Dans l’innommable capharnaüm accumulé au fil des ans par cet homme atteint du syndrome de Diogène, elle tombe à son grand effroi sur deux photographies de son grand-père en uniforme nazi. Qui était-donc véritablement cet aïeul qu’elle chérissait et qui ait pour avoir déserté l’armée allemande où, tchèque, il s’était retrouvé enrôlé malgré lui ?
Ebranlée, elle écume les archives, se rend en Moravie, là où est né son grand-père, et, entre questionnements et hypothèses qu’elle ne parviendra pas toujours à clore, finit par reconstituer le puzzle d’une histoire individuelle liée à celle des Sudètes, ce territoire qui fut successivement allemand et tchèque. En même temps qu’elle découvre le vrai nom de son grand-père et les raisons qui l’ont poussé à réécrire son histoire, le voile se déchire aussi sur la personnalité et les ressorts psychologiques de son père, rongé jusqu’à la pathologie mentale par le poison du secret et du mensonge, ceci d’autant plus que son homosexualité cachée l’amenait à ajouter de nouvelles couches aux fictions familiales.
Ce formidable et ionnant récit où le tumulte de l’Histoire vient percuter à leur insu, de non-dits en mensonges par omission, l’équilibre psychique de plusieurs générations d’une même famille, impressionne par la clarté de ses réflexions, la justesse de ses intuitions psychologiques et la sincérité d’une démarche qui ne cache rien de ses doutes et de ses tâtonnements. Coup de coeur pour cette magnifique analyse de ce qu’un patronyme peut secrètement transmettre de génération en génération.
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