Il faut avoir l’estomac sacrément accroché, pour parvenir au terme de My absolute darling, le premier roman écrit par Gabriel Tallent. Sans que le récit ne fasse honneur à son nom de famille, l’écrivain, dont le nombre de ventes a été porté par une presse dithyrambique, et un Stephen King tout aussi enthousiaste, probablement en mal de sensations fortes, ses livres adaptés au cinéma n’ayant pas donné de films qui ne soient médiocres depuis environ quinze ans, sinon plus, a choisi de frapper fort en délivrant au lecteur l’histoire crue et sordide d’une adolescente, Julia / Turtle / Croquette sous l’emprise d’un père abusif, violeur et philosophe de pacotille à ses heures perdues, Martin. Cinq cents pages de tensions fortes et d’évènements répétitifs se succèdent, pour une fin superficiellement jouissive, car elle était la seule possible et envisageable, si l’existence d’une morale objective était avérée. Le style, mauvais, cumule les dialogues agaçants et elliptiques, rendant les personnages peu sympathiques, Turtle comprise, certainement à des fins psychologiques, comme si une victime devait, elle aussi, apparaître ambivalente par pragmatisme anti manichéen.
La complaisance de l’auteur, dont les germes sont déjà présents dans le titre de l’ouvrage s’étend à toute la structure du roman, dans lequel tout est prétexte pour, à, laissant croire à une mécanique bien huilée où défilent en réalité une galerie de personnages clichés, de la professeure faussement concernée, inerte de par son impuissance intégrée, au père congénital, pécore, consanguin, mais qui lit Kant et Hume pour lui donner un tant soit peu d’épaisseur. Seuls les deux adolescents qui apparaissent vers la moitié du livre le rattrapent sans le sauver, tant leur apparition entraîne une bouffée de fraîcheur dans un environnement exagérément nauséabond. Eux aussi sont portés sur la philosophie, Marc-Aurèle en particulier, ce qui en fait d’autres éléments à l’allure de pions inutiles, mais leur gentillesse vient compenser la brochette des protagonistes qui jouent perpétuellement les durs.
De sordide, il est question dans My Absolute Darling, sans interruption, avec un voyeurisme incessant. Dans un écho désagréable, les échanges verbaux, qui tournent en rond, s’opposent aux scènes de pédophilie qui ne s’embêtent pas de scrupules descriptifs. Le résultat est cru, cruel même, réitéré à plusieurs reprises, rendant la lecture pénible tant l’horreur semble gratuite. Certes, il y a les descriptions botaniques et des armes à feu pour introduire de la variation entre les instants inables, qui font de Turtle une sorte d’amazone. Des tartines de noms de fleurs, de plantes, d’arbres, de caractéristiques techniques de revolvers, fusils, canons automatiques, et on se croirait presque dans un roman dystopique survivaliste, que viendrait soutenir les discours eschatologiques du père abusif sur la fin du monde. Les recherches effectuées par Gabriel Tallent pour établir une flore aussi complète sont irables, mais un tri aurait sauvé le récit, perdu à mi-chemin entre l’ennui et la souf croissante.
Rarement un livre n’aura offert un soulagement aussi compact entre la fin du récit et celle des pages.