Je ne connaissais pas le nom de Jeffrey Eugenides avant d'ouvrir Middlesex. Juste avant de commencer, j'ai appris qu'il était l'auteur de Virgin Suicides, le livre à l'origine du film du même nom de Sofia Coppola. Je n'avais qu'un souvenir brumeux du film, quelque chose de très vaporeux justement. J'étais un peu refroidi.
J'ai bien fait de ne pas me laisser décourager par ce souvenir (peut être basé sur rien de concret en plus). Middlesex est un très grand roman. On y suit l'histoire de Calliope Stephanides (ou Callie ou Cal selon le moment du roman). Comme le nom du roman et la 4e de couverture vous le dit, et comme on le comprend, Cal est né-e intersexe (même si iel ne se reconnaît pas forcement dans cette appellation). On aurait pu craindre un roman écrit à la 1ere personne par un homme qui donne la parole à un-e intersexe, mais j'ai eu l'impression que l'on évitait les écueils (dixit moi même, homme cis genre, donc mon opinion vaut ce qu'elle vaut).
Déjà parce que Eugenides a l'intelligence de ne pas utiliser ce ressort narratif comme un gros chiffon rouge qu'il nous balancerait au visage, mais comme un délicat fil de soie que l'on devine plus qu'on ne le voit tout au long du roman. La 1ere partie (qui fait quand même 600 pages) va surtout être une fresque familial et historique, suivant l'émigration d'un frère et sœur grecque depuis la Turquie jusqu'à Detroit ; frère et sœur qui deviendront mari et femme dans le processus. L'épée de Damoclès de la consanguinité se met à planer sur tout le roman. Fresque historique, où on voit défiler les guerres grecquo-turque, les usines de Ford, la prohibition, les droits des minorités aux états unis, les guerres, le jazz. Le tout lié par une bobine de soie qu'est la famille Stephanides et ses ramifications. Galerie de personnage tous et toutes très réussi. Comme dans les tragédie grecques, chacun-e se retrouve entrainer sur le fil de son histoire, jusqu'à ce que ces fils de soie se nouent pour nous apporter le dénouement : la naissance de Cal.
Mais là encore, où on aurait pu avoir de gros sabot, ce sont de discret pas feutrés qui nous guident dans l'enfance puis l'adolescence de Cal. La question de sa particularité physique ne sera vraiment importante et sur le devant de la scène que dans la dernière partie du roman. Et là encore tout en retenue. Ce roman c'est finalement plus l'histoire d'un-e adolescent-e qui devient adulte, plus qu'une fille qui deviendrait garçon.
En ant de fille à garçon, je subissais un changement beaucoup moins important que celui qui consiste à er de l'enfance à l'âge adulte. Pour la plupart des choses, je demeurais la personne que j'avais toujours été.
C'est la force de ce roman, de cette saga familial et historique. Parvenir à nous raconter l'histoire d'un-e ado tellement particulier avec autant de légereté face à cette particularité et autant de sérieux face à la lourdeur de ce qu'est ce age dans la vie de toutes et tous. Le tout dans un style plaisant, parfois sérieux, parfois poétique, souvent drôle. Toujours réussi.