Malaise à la lecture de ce roman. Malaise d'autant plus grand que Vendredi ou les limbes du Pacifique est mon roman préféré. Je retrouve là sa plume, souple et précise, mais...
Mais ce que j'avais pressenti en étudiant la biographie curieuse Michel Tournier et ce fils adoptif se révèle malheureusement au grand jour dans ce roman, traversé par un parfum de perversité, qui ne se contente pas de friser avec l'interdit : sa quête constitue la ligne directrice de l'œuvre.
Quelques extraits.
"Mais on peut en avoir une connaissance immédiate - et combien plus touchante ! - en ant rapidement les lèvres sur la peau [d'un enfant]." p. 428
"A l'opposé des fesses des adultes, paquets de viande morte, réserves adipeuses, tristes comme les bosses du chameau, les fesses des enfants vivantes, frémissantes, toujours en éveil, parfois hâves et creusées, l'instant d'après souriantes et naïvement optimistes, expressives comme des visages." p. 445
"j'ai dû faire un séjour après que Pelsenaire [un enfant] m'eut fait laver de ma propre bouche son genou blessé". p. 466
Tournier a beau jeu d'invoquer des légendes populaires (l'Ogre) ou des analogies empruntées à la haute culture (le poème de Goethe). Ces masques littéraires ne sauraient détourner du fait que c'est tout l'univers mental d'un pédophile qui est dévoilé, sa psyché malade, ses obsessions et lubies charnelles, la pulsion, méthodes de prédation.
Comment parler subtilement et magistralement d'un sujet qui ne l'est pas. A ceux qui m'accaient "ne pas avoir compris le livre", je répondrais que vous êtes bien naïf.
Non, car on a beau être abreuvé de concepts ("la phorie"), basculer dans le scientifique (l'étude clinique de l'anatomie infantile), la destination indiquée sur le billet est claire : voyage au cœur des fantasmes d'un pédophile en plein transfert.