Toujours plus bas vers l'Abîme
Alors, je voudrais commencer par rectifier quelque chose : Jack London ne s'est pas déguisé en clochard, mais en marin américain ruiné à la recherche d'un emploi pour repartir en amérique. C'est le bobard qu'il a servi aux autochtones britanniques croisés au fil des mois és dans l'East End de Londres, en cette année 1902. Il avait 26 ans. 26 ans ! Que de justesse, d'ironie et de clairvoyance dans ces propos, pour quelqu'un de 26 ans seulement.
On a du mal à l'imaginer, mais la quantité considérable de profits créé par l'empire anglais grosso modo, entre 1600 et 1900, finissait dans la poche de quelques uns. Ces quelques uns transmettant leur héritage à leurs descendants au fur et à mesure des générations, la bourgeoisie anglaise avait accumulé au début du XIXème siècle un stock de biens, de devises et de propriétés foncières jamais atteint auparavant dans l'histoire de l'Humanité. Une concentration de richesses phénoménales.
Ce livre n'en parle pas.
Ce livre parle des oubliés du système capitaliste victorien, des laissés pour compte, des inadaptés. Qui grouillaient dans l'est de Londres, vivant dans la misère, dont les emplois non-qualifiés ne permettaient pas de vivre. Qui, au premier accident, devenaient handicapés et mourraient faute de rentrées d'argent, puisqu'il n'existait pas de sécurité sociale ou de système publique d'assistance pour répondre aux besoin faramineux de la société. Pas de contraception, surtout, les familles de six ou sept enfants étaient la norme, ce qui amenait une appauvrissement et des carences alimentaires généralisées au sein des foyers.
Jack London dresse un tableau sans concession de ce magma, mais très répétitif, et on voit que cela finit par le lasser. A la fin, il ne traite plus les gens comme des individus à part entière, mais plutôt comme une masse grouillante, ses descriptions se font de plus en plus morbides, il finit même par éplucher les articles traitant des suicides dans les journaux, les justifiant et les relativisant (Jack London a mis fin à ses jours quatorze ans plus tard, à l'âge de quarante ans). Il était très réaliste vis-à-vis de ses contemporains, peut-être trop.
Si le récit de son voyage dans l'est londonien est parfois monotone, les textes d'auteurs en en-tête de chacun de ses chapitres sont souvent très beaux et montrent qu'un nombre incroyable d'auteurs et de poètes de langue anglaise contemporains ou presque, se sont également intéressés au sujet. Si il y a eu des changements par la suite, ce n'est pas du fait que des syndicats, des élus politiques, une partie gigantesque de l'opinion occidentale s'est penchée sur le sujet et l'a pris à bras le corps. Nombreux étaient les gens conscientisés avides de changements.
Ce qui est loin d'être le cas maintenant : ce livre a été écrit à un tournant. Après l'accumulation des richesses considérable que la révolution industrielle a produite au cours du XIXème siècle, le XXème siècle a été celui de leur répartition. J'ai bien peur que le XXIème siècle soit celui de leur reconcentration.
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