S.A.S. version flics du vice




- Dis moi, je t'en prie, qui est-ce ? Elle avança vers lui, intriguée : Et tu es qui, toi, au juste ?
Corentin lui lissa tendrement les cheveux sur le front.
- Bon, fit-il, mais je ne vais pas te raconter un truc gai. Cette fille est une gosse qui a disparu. Enlevée, surement.
Odile fixa Boris par en dessous, surprise.
- Mais pourquoi tu as sa photo sur toi ? C'est une parente ?
- Non, je ne l'ai jamais vue.
- Alors ?
Les yeux de Boris Corentin plongèrent dans ceux de la fille. Il se pencha sur elle :
- Alors, je suis un flic, articula-t-il posément. Un flic de la Brigade Mondaine, si tu veux tout savoir. Et on m'a chargé de la retrouver.
La réaction d'Odile n'étonna pas Boris Corentin. Ce n'était pas la première fois, loin de là, qu'à l'énoncé de sa profession, il provoquait un haut-le-corps. Il en avait l'habitude et s'en moquait. Pour lui, c'était même un test pour juger les gens. Odile s'était rejeté en arrière. Réfugiée à l'autre bout du lit, elle observait Corentin avec une stupeur presque horrifiée.
- Toi, un flic ? s'écria-t-elle la bouche tordue.
Il haussa les épaules :
- Oui, et alors ? Tu regrettes ?
Odile le regardait comme si c'était une limace.
- Je hais les flics, gronda-t-elle. Ils ent leur temps à matraquer mes copains.
Corentin secoua la tête, fataliste.
- Tu t'imagines que si les gauchistes arrivent au pouvoir, il n'y aura plus de flics ?... Ecoute un peu : une gosse de quinze ans a disparu. Toi tu trouves dégueulasse de coucher avec le flic qui va essayer de la retrouver ?


Du roman de gare au miroir d’époque




Hà là là là… Il y aurait tant à dire sur Brigade Mondaine, tant à dire sur Gérard de Villiers, tant à dire sur l’époque que ces innombrables romans traduisent, qu’il est difficile de savoir par où commencer cette critique. Commençons donc par le commencement : Gérard de Villiers, écrivain et journaliste français, a fondé au début des années 1970 sa propre maison d’édition, sobrement nommée Les Éditions Gérard de Villiers. Cette maison connut un immense succès populaire dès ses débuts, publiant des milliers de romans au fil des décennies. Le fleuron de ce catalogue reste sans conteste la série d’espionnage S.A.S., qui met en scène le prince autrichien Malko Linge. Gérard de Villiers en écrivit lui-même plus de 200 volumes, bâtissant un véritable empire littéraire. Mais si S.A.S. occupait la première place, la maison ne se limita pas à cette seule collection. D’autres séries virent le jour et connurent elles aussi un large succès, comme : Le Mercenaire, Blade : Voyageur de l’Infini, Les Anti-Gangs, L’Exécuteur, pour ne citer qu’elles. Et parmi ces titres figure celui qui nous intéresse aujourd’hui : "Brigade Mondaine". Brigade Mondaine est une série de romans policiers teintés d’érotisme, écrite par Michel Brice, qui connut une belle longévité avec plus de 330 titres publiés entre 1975 et 2012.



Il s’agit d’une collection de romans mettant en scène les enquêtes de la police des mœurs, aux prises avec les milieux du proxénétisme, des cabarets, des stupéfiants… et même de l’« homosexualité », autres temps, autres mœurs, puisque l’action se situe au cœur des années 1970. On y suit Boris Corentin, inspecteur principal à la Brigade Mondaine, échelon 5, indice majoré 450, sans supplément familial de traitement. Il a é le concours d’inspecteur de la police judiciaire aussitôt après son service comme para. Classé dans les dix premiers, il eut le privilège de choisir la Mondaine, cette branche de la Direction de la Police Judiciaire de la Préfecture de Police, situé au 36 quai des Orfèvres, sur l'île de la Cité. Âgé de 35 ans, Boris est considéré comme un crack dans son domaine. Au sein des services de la Mondaine, il fait partie de l’aristocratie de la brigade, affecté aux redoutées « Affaires recommandées ». Spécialiste impitoyable, il est craint des harengs (les proxénètes), tant il se montre inflexible envers eux. Son é n’est pas en reste, en tant qu'ancien commando de chasse engagé dans la guerre d’Algérie, il traîne également une histoire personnelle tragique. Son ex-fiancée, envoyée à Abidjan, fut annexée par un réseau qui la prostitua durant dix-huit mois, avant qu’elle ne soit miraculeusement récupérée et rapatriée en . Mais la fracture fut totale. Elle l’abandonna, brisée, et Boris, à partir de là, se réfugia dans les relations d’un soir.




Avec cette première enquête, Le Monstre d'Orgeval, Michel Brice nous livre un récit où l’on est clairement très loin de l’écriture de luxe. Au contraire, le style est volontairement simpliste, cherchant avant tout à retenir l’attention du lecteur de manière équivoque, parfois même grossière. Il y a sans doute de la gratuité dans certains ages, mais aussi, çà et là, quelques trouvailles narratives bien senties. L’intrigue policière est assez classique, traversée de part en part par un érotisme appuyé et une bonne dose de scènes sulfureuses. En somme, un mélange plus ou moins efficace d’action, de sexe et de mystère. Une combinaison typique de la série, aujourd'hui bien marquée par son époque. Ces romans apparaissent aujourd’hui comme datés, notamment en raison de leur vision de la femme très orientée vers un fantasme masculin que l’on qualifierait sans hésiter de sexiste, aujourd'hui. Une vision à laquelle je ne souscris pas totalement, car les femmes y sont réduites à de simples objets de désir et de manipulation qu'à travers les antagonistes du récit, qui les traitent comme de véritables marchandises, des êtres déchus et corrompus, tandis que le héros, lui, adopte une posture différente. À travers ses relations, il offre au contraire une image de la femme plus libre, plus forte. À travers ces relations, certes épisodiques, le roman esquisse une vision alternative : celle d’une femme libre, maîtresse de ses choix, et non simplement soumise au regard masculin. Un double registre qui donne à l’œuvre une tonalité ambivalente avec d’un côté les codes d’une époque où le fantasme viril dominait sans complexe ; de l’autre, une tentative, peut-être involontaire, de sortir de ce cadre figé. Je dirais plutôt que ce roman reflète une époque, celle de l’après-Mai 68, où l’érotisme se démocratisait, où la libération sexuelle influençait la fiction populaire. Reste que les couvertures, marquantes, illustrées de femmes lascives ou en pleine action suggestive, renforçaient certainement cette réputation de « littérature sexiste ».




C’est ainsi qu’on suit l’inspecteur Boris Corentin, soutenu par son collègue Aimé Brichot alias Mémé, dans une sombre affaire d’enlèvement. Le centre de l’affaire s'appelle "Micheline", une adolescente de quinze ans, qui tombe sous le charme de Patrick, un individu trompeur, lui promettant une carrière brillante de grande actrice. Seulement, cette rencontre la plonge dans un véritable enfer, puisqu'elle se retrouve plongé dans un réseau de prostitution impliquant des personnalités influentes dont l'un d'eux va faire l'acquisition. Comte Henri Vaugoubert de Saint-Loup, ancien secrétaire d'ambassade de Bucarest rayé des cadres à la Libération et réintégré après en tant que chef du cabinet du ministre des "Affaires" féminines. En gros, une grosse légume qui n'est nulle autre qu'un prédateur sexuel assez atypique qui va faire de la pauvre Micheline un véritable animal de foire répondant à ses pulsions sexuelles. De Saint-Loup est le fameux monstre d'Orgeval. J’apprécie l’approche du récit, qui est directe et sans détour, avec des descriptions nettes et une atmosphère particulièrement prenante. Bien que la structure soit relativement simple, l’univers dans lequel évolue le personnage principal est bien développé, avec de nombreuses explications et quelques clins d’œil à De Villiers et son "S.A.S.". Les ages concernant Micheline sont particulièrement difficiles à lire vu que l'écriture ne détourne jamais le regard. On suit ses épreuves face à un bourreau dont la brutalité insidieuse m’a glacé le sang. Le final m’a mis sous pression avec une course contre la montre s’imposant à nous, mais sa résolution m’a semblé trop facile, notamment avec l’intervention du tueur au masque de clown, engagé par de Saint-Loup, qui se fait capturer sans grande difficulté. Je m’attendais à une confrontation bien plus intense entre les deux hommes.



Cela dit, l’œuvre présente tout de même une proposition intéressante, surtout en mettant en lumière cette brigade et la manière dont le Monstre d'Orgeval, protégé par sa position élevée au sein du gouvernement, semble presque intouchable. On ressent bien la pression du pouvoir. Un roman d’une lecture aisée, que l’on pourrait aisément classer parmi les « romans de gare » à tendance érotique, peu porté sur la subtilité ou la nuance. Il aborde néanmoins son sujet de manière frontale, sans détour ni tabou, et assume pleinement son ton cru. Ce style sans filtre fait toute sa singularité, en appelant les choses par leur nom, quitte à en rebuter certains. Il n'y a que la réalité qui blesse. Le succès de l’ouvrage, en plus d’avoir donné naissance à plus de 330 suites étalées sur près de quarante ans, a également conduit à une adaptation cinématographique en 1978, réalisée par Jacques Scandelari, de son titre "Brigade Mondaine". Deux suites verront le jour avec La Secte de Marrakech, sortie en 1979 et réalisée par Eddy Matalon, ainsi que Vaudou aux Caraïbes, sortie en 1980 et réalisée par Philippe Monnier.



CONCLUSION :



Le Monstre d'Orgeval, écrit par Michel Brice et publié sous l'égide de Gérard de Villiers, s’inscrit pleinement dans la tradition du roman de gare à travers une littérature directe, sans fioritures, qui parle à ceux que les marges attirent. C’est cru, c’est rythmé, et ça tape là où ça fait mal. Ce volume, en particulier, fonctionne comme une porte d’entrée brutale mais efficace dans l’univers trouble de la Brigade Mondaine. L’enquête va droit au but, sans s’embarrasser de nuances, et dresse un portrait glaçant d’un prédateur traqué par un héros aux méthodes musclées. C’est de la littérature populaire, oui, mais avec ce parfum d’époque qu’on ne trouve plus, celui d’une des années 70-80, pleine de fantasmes, de zones d’ombre et de contradictions.


Entre fantasmes d’époque et polar sans filtre, Brigade Mondaine vaut le détour, ne serait-ce que par curiosité.



Les seins de Micheline tremblèrent sous son chemisier quand elle ôta son imperméable. Timidement, elle parcourut du regard le grand bureau tendu de papier japonais et se figea devant la photo géante épinglée au-dessus du bureau. Une longue fille blonde aux cheveux courts, entièrement nue, assise dans un canapé de face, les bras relevées, les deux pieds sur les accoudoirs.




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le 21 avr. 2025

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