Lady Susan est une veuve qui en a terminé avec la gent masculine. Elle le sait, ils le savent, elle est égoïste, narcissique, entêtée et profondément attachée à sa liberté de faire et de penser. Ainsi va-t-elle vouloir séduire le pauvre Reginald, qui va vite tomber sous ses charmes. Ce court romain épistolaire de l'une des plus grandes figures britanniques du début 20ème, Jane Austen, est l'une de ses premières œuvres et comporte sûrement l'héroïne principale la plus antipathique de toute sa bibliographie. La plus caustique, aussi.
Comparée à Mme de Merteuil à juste titre, par sa liberté de ton, son emprise sur les hommes et sa relative liberté sexuelle (jamais il n'est question de coucher), Lady Susan me rappelle bien plus une autre héroïne de son imaginaire, qui apparaîtra bien après : Emma. Elle est le reflet de cette jeune femme qui aurait mal tourné, dont les défauts seraient devenus une force de frappe majeure, la femme forte qui prodigue ses conseils et sa vérité comme étant La Vérité. Jane Austen n'est pas encore totalement à l'aise avec ses personnages, qui ont tous un rôle plus ou moins précis dans son livre (la grande amie de Lady Susan, sa famille contre elle, le Reginald manipulé), nous sommes presque face à une pièce de théâtre, où tous sont cantonnés dans un rôle, certes magistral.
Ce roman est une suite de lettres qui suit approximativement le début du séjour de Lady Susan et sa fin, et les correspondances, les ragots, les états de fait sont parfaitement retranscrits, dans un ton léger qui pare les phrases mordantes de Jane Austen. On y retrouve ses thèmes principaux, la métamorphose de la raison en amour déraisonné, les valeurs et principes transgressés par les sentiments, la femme qui fait ses choix sans l'aval de son entourage (Orgueil et Préjugés).
Malgré le faible nombre de pages et le côté pastiche de cette femme que j'aurais aimé bien plus majestueuse, Lady Susan de Jane Austen est agréable à lire, à vivre et à ressentir. Une femme qui parle avec autant d'amour, d'humour et de pertinence du cœur endolori qui tombe en lambeaux ou qui s'illumine sous les coups vengeurs d'une veuve orgueilleuse, j'aime cela. Elle fut l'une des meilleures à se ionner beaucoup plus pour le processus qui mène à l'amour plus que pour cet état déjà établi ou le déchirement qui survient après, et je trouve personnellement ce point de vue tout à fait génial, car quoi de plus intéressant que cet état léthargique qui fend l'armure et toutes nos belles paroles, et nous fait tomber amoureux.