Un bon bouquin, dans la veine très en vogue actuellement de l'anticipation environnementale, et qui par son atmosphère et ses décors n'est pas sans rappeler "la fille automate" de Bacigalupi. Il y est question d'un environnement maritime presque totalement pillé par l'homme et de technologies omniprésentes qui tendent de réduire l'humanité à un état d'espèce en quelque sorte secondaire. De par sa construction scénaristique, Nayler fait très habilement planer une aura de mystère permanent, que l'intrigue se déroule dans un archipel vietnamien presque totalement déserté par les hommes ou dans les brumes d'Istanbul. Mystère qui ne se dénoue pas totalement d'ailleurs lorsque s'achève la lecture, ce qui ne manque pas de laisser le lecteur quelque peu perplexe. Cela ajoutant au charme, à l'envoutement que procure cet ouvrage : ça fait parti du truc, quoi.
Ouvrage dont le fond, la substantifique moelle, est constitué par une réflexion sur l'intelligence, qu'elle soit artificielle ou naturelle. C'est très riche en la matière, abordant des thèmes comme la capacité mémorielle, la représentation symbolique et le langage (et donc la capacité d'abstraction et d'interprétation des signes), la nature des capteurs sensoriels, la distribution des unités de traitement de l'information sur un corps, mais également les émotions, la culture et par conséquent l'intelligence collective. Le tout étant distillé à travers les conversations des protagonistes, mais également des extraits d'un ouvrage écrit par l'une d'entre elles et intitulé "Comment pensent les océans ?", semble inspiré d'un bouquin qui existe réellement et s'appelle "Comment pensent les forêts ?". Pour le dire simplement et bien qu'étant profane en la matière, j'ai trouvé que ce livre avait une valeur anthropologique remarquable. Duquel il est aisé de conclure que ChatGPT et autres gadgets du même acabit sont vraiment très loin d'épuiser le sujet de l'intelligence artificielle.
Enfin, il s'agit d'un bouquin clairement dystopique qui décrit le futur - volontairement non daté - d'une humanité à bout de souffle, qui connait son crépuscule, dans un monde dévasté par la recherche du profit, l'autoritarisme et la loi du plus fort, l'épuisement des ressources naturelles. Cela en dépit de progrès technologiques qui loin d'entraver le déclin n'ont fait que le renforcer, car étant mis au service de la recherche du profit, de la répression des faibles et de la consommation des ressources naturelles. Un déclin que le fragile humanisme du docteur Ha, petite flamme qui brille encore dans la nuit qui s'annonce, ne peut guère juguler. A méditer...