Un étonnement sévère (comprenne qui pourra).
Je vais finir par me lasser de n'attribuer que d'excellentes notes aux livres que je lis en ce moment. Pourtant, je dois avoir bon goût, je ne lis que des classiques, alors forcément, ceci justifie cela.
Et La Douce n'échappe pas à la règle. Un roman court, le récit d'un homme quelques heures après le suicide de sa femme. Un homme bouleversé, amoureux, profondément seul, méprisé, hautain qui raconte sa rencontre avec celle qui deviendra son épouse (dont le nom n'est pas cité par ailleurs, elle s'appelle juste "elle", ou la Douce une fois) et l'évolution de leur relation jusqu'au matin du drame. Un rythme soutenu, un ton emphatique, désespéré, étrangement lucide, une auto-persuasion/justification/flagellation et des regrets, beaucoup de regrets.
Tout cela sous les yeux clos de la morte, étendue dans son cercueil blanc sur la table. Ce qui donne une dimension un peu folle et effrayante au récit, "fantastique" comme l'a dit Dostoïevski lui-même.
Ce qui est frappant dans La Douce c'est à quel point le récit happe le lecteur. J'ai été totalement emportée et je l'ai dévoré, comme une triste gourmandise, empoisonnée mais au goût incomparable. Gare aux larmes qui pourraient surgir à vos yeux en lisant cette oeuvre.
Je tiens en dernier lieu à ajouter que l'héroïne, la Douce, est (était !) sans doute fondamentalement douce et honnête, mais il serait réducteur de ne l'appeler que douce. Certes, elle est seule, elle coud, elle chante, elle sourit, mais elle est aussi un peu démoniaque, un peu délicieusement fine, un peu jeune et sûre d'elle. La Douce, c'est une femme complexe qui évolue et qui fascine. Et le livre se pose ainsi en double portrait : celui d'une femme morte, celui d'un narrateur pathétique.