Nouvelle lecture. La Constellation du Chien. États-Unis, Amérique. Peter Heller une lecture post-apo on remet ça si. J'en rajoute un peu, mais c'est dans le ton du début du livre. Haché/saccadé. Heureusement le style ne se résume pas à ça, car il laisse aussi transparaître un côté tendre, dont la nervosité côtoie la fragilité.
J'ai tout de même cru que j'allais être englué dans cette narration à l'apparence désordonnée. Et il faut dire qu'au début, je n'accrochais pas forcément avec notre narrateur, Hig, bloqué dans sa vie d'après cataclysme (grippe ultra meurtrière) avec le gros lourdobeauf avec qui il cohabite pour protéger son périmètre, Bangley, un "connard buté".
Là où je n'attendais pas le livre, c'est sur toute sa composante nature-writing, qui s'imbrique de jolie façon dans ce monde d'après. Dès que Hig se sent enfermé, il s’échappe. Il part pêcher, chasser, voler (au sens propre). Une de ses plus fidèles compagnes, c’est d’ailleurs la Bête, un petit avion de 1956. Et pour comprendre comment il arrive encore à le faire voler, le mieux c'est de lire le livre !
Ces moments d’évasion révèlent une vraie dualité chez Hig, et ça lui pourrit la vie. Une dualité avec son lourdobeauf, avec lui-même et son existence.
Nous sommes quand même divisés, il y a des fissures dans cette union. De principe. Le sien : on est coupable jusqu’à ce que – rien. Tire d’abord parle après. Coupable, et puis mort. Par opposition à quoi ? [...] Moi contre lui. Suivez la croyance de Bangley jusqu’à son terme et vous obtiendrez une solitude retentissante. Chacun pour soi, même pour gérer la mort, et vous arrivez à une solitude complète. L’univers et vous. Les étoiles froides. Comme celles qui s’estompent, en silence, pendant que nous marchons.
D’ailleurs, j’ai remarqué quelque chose : la narration est plus nerveuse quand Hig est avec Bangley ou sur leur camp. Mais dès qu’il part dans la nature avec son chien, le ton change, la narration se transforme et devient plus lancinante, plus poétique aussi, signe de cette dualité qui l'habite.
Le bois était sec, gorgé de résine et il explosait et craquait ce qui produisait une chanson domestique par-dessus le murmure syllabique de la rivière et du vent dans les hautes branches. Les ténèbres avaient déjà gagné la forêt, elles remplissaient le petit canyon telle une marée lente et les flammes les rendaient plus profondes mais le ciel était toujours clair, du bleu le plus pâle et je voyais deux étoiles.
Concernant mon sentiment par rapport à ces personnages assez froids de prime abord, je ne sais pas, d'un coup, ça l'a fait. Ça l'a même bien fait. Hig devient attachant et la relation bizzaroïde avec son coloc limite mignonne. Une sorte de vieux couple. C'est marrant, c'est chou et même presque touchant. Bon, il ne faut pas oublier non plus que c'est la fin du monde, il y a un territoire à protéger, des pillards, des tueries. Donc la mignonnitude connait forcément ses limites. Et puis, en plus de cette relation particulière, il y a ce côté tragique chez notre protagoniste, complètement perdu dans ce nouveau monde, perdu en lui-même. Tragique et forcément intense au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture.
Bref, ce livre a définitivement un truc de bien puissant, renforcé par ce style elliptique qui immerge le lecteur dans la tête et les ressentis du narrateur. On vit cette lecture au rythme de Hig, Dans ses angoisses, dans ses moments de contemplation. C'est pourtant dommage que dans la dernière partie du livre, pourtant bien réussie dans son ambiance et sa tension, le seul personnage féminin qui apparaît est surtout réduit à son corps et à l’attrait qu’il suscite chez Hig. Il n'y a un peu que ça qui existe : son corps, son mari défunt et son ancien métier, waw. J'en rajoute peut-être un peu, mais niveau construction de perso, c'est tout de même assez léger. Et réducteur. Dommage.
Allez, le post-apo c’est fini pour un moment – pas que ça me déprime, ni que ça tourne en rond, pas que je sois lassé non plus, mais justement, il faut savoir garder la flamme. En tout cas, cette lecture m’a laissé un déclic. Ce lien entre l’histoire américaine, la peur de la bombe, le goût pour la fin du monde, c’est un truc que je n’avais jamais vraiment capté jusque-là. Peut-être que d’autres l’avaient vu, mais moi, il m’a sauté aux yeux. Et c’est le genre de petite étincelle que j’aime avoir en lisant.
Je retrouverai Peter Heller avec plaisir, peut-être avec Celine, ou La Rivière. En attendant, cap sur d’autres rivages ?