Loin de la société des Hommes, un faible cri dans le morne ciel qui l’a vu naître, Jack London s’éteint au crépuscule de l’année 1916. Il laissera à la postérité une œuvre prolifique et de profonds tourments, un esprit assoiffé arraché à un corps trop mortel, trop vain.
Quand en 1903 paraît l’Appel de la forêt, Jack London est âgé de 27 ans. Des souvenirs et des idéaux plein la tête, sa plume le guide vers les territoires glacés d’Alaska, du Yukon, du Klondike, vers la ruée vers l’or, vers un XIXème siècle vieillissant qui finit d’enterrer les derniers espoirs d’une Amérique en quête de rédemption.
C’est une histoire particulière que raconte l’auteur américain. L’histoire de Buck, un chien arraché à une vie de confort, l’histoire d’une vie brisée, une histoire de la vie dans ses plus profonds enracinements.
Il y a une extase qui nous porte au point le plus haut de la vie, au-delà duquel la vie ne peut plus s’élever. Le paradoxe est qu’elle se produit alors qu’on est - sans s’en rendre compte - pleinement vivant. Cette extase, cette inconscience d’exister appartiennent à l’artiste, saisi et projeté hors de lui-même dans une nappe de feu ; au soldat, pris de folie guerrière sur le champ de bataille, qui refuse de faire quartier.
Derrière une large colline enneigée, au pied des arbres raides que le vent finit de rendre à la terre, Buck s’est tétanisé dans un grognement rauque. Rien ne vit autour de lui. Le soleil irradie faiblement son poil sombre avant de rouler sans un bruit au pied de la colline.
Son ombre désormais disparue, Buck n’attend rien. Il respire lentement, sent au fond de lui le grondement atavique, le son d’une vie qu’il n’a pas le choix de vivre. Cette force dont il n’a que l’intuition est pourtant la seule vérité qu’il pourra découvrir, une vérité primitive et antique dont l’écho roulera encore longtemps après que la vie disparaisse dans un souffle éphémère.
Imperceptiblement, Buck arrache au silence de la forêt un mouvement chaud et vif, un mouvement qu’aucune tempête, aucun océan, aucune univers ne pourra jamais égaler. Le mouvement de la vie résonant dans l’infini silence du cosmos.
Buck s’efface humblement devant l’appel de la forêt.
Le flot de la vie le subjuguait, tel un raz de marée ; il était tout à la joie immense de sentir jouer ses muscles, ses articulations, ses tendons, qui n’avaient rien de la mort, débordaient de vigueur et de puissance, et trouvait leur expression dans le mouvement, volant triomphalement entre les étoiles et la surface inanimée de la terre.