En 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie Chrétienne (DC) italienne, connue pour ses liens avec la mafia et ses scandales de corruption, est enlevé par les brigades rouges après le massacre de son escorte. Il est tenu dans un lieu secret pour subir un jugement "populaire". Le pire, c'est que dans le panier de crabes de la DC, Moro, bien qu'au courant des turpitudes de chacun, était un des seuls irréprochables.
Et le pire, c'est que les siens vont le lâcher, en se retranchant derrière la raison d'Etat ("on ne négocie pas avec les terroristes").
Et le plus étrange, c'est que les brigades rouges feront parvenir des lettres de Moro par la poste, lettres dans lesquelles il se montre de plus en plus critique vis-à-vis des siens qui l'abandonnent, sans aller jusqu'au déballage, mais en appelant aux valeurs chrétiennes qui recommandent d'épargner le sang d'un innocent. Sang qui finira bien par être versé, Moro souhaitant qu'il retombe sur les responsables qui l'ont condamné par leur attentisme.
Sur cette affaire, qui par son côté rocambolesque ne pouvait se er dans un autre pays que l'Italie, Sciascia se place dès le début sur le plan littéraire, faisant des parallèles avec une citation prémonitoire de Pasolini et avec une nouvelle de Borgès. La suite du livre reprend plusieurs des lettres-clé de Moro et en fait un commentaire linguistique, voire sémiologique. Sciascia essaie de lire dans les non-dits, de démêler les maladresses de l'émotion des effets littéraires calculés d'Aldo Moro, connu pour une verve assez personnelle.
Le livre est un procès en règle de l'hypocrisie de la DC, mais aussi du pouvoir en général. Il offre aussi une réflexion sur le côté italien de ce contexte, avec un parallèle entre l'organisation des Brigades Rouges et celle de la mafia.
Mais pour qui voudrait une vision panoptique de l'affaire Moro, il faudrait sans doute chercher ailleurs. Sciascia aime le tarot sicilien (auquel il fait référence), il aime sonder l'abîme dans laquelle sont plongés les personnages de cette situation inédite, et s'il a des idées précises sur ce qui s'est é, il ne le laisse transparaître que de manière allusive, obscure, délibérément hermétique (cf la dernière phrase).
L'affaire Moro est un des livres à lire pour comprendre cette affaire, mais relève davantage de l'essai littéraire que de l'enquête exhaustive. C'est un essai sur le pouvoir, sur la corruption, sur la manière dont un individu qui va être broyé se débat, sans que l'on sache au final qui l'a véritablement broyé : les Brigades Rouges ? la DC ? Ses s américains ?