Plouf l'épopée !
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Après le succès de L’art de perdre qui voyait une jeune femme, avatar de l’auteur, se lancer sur les traces de son histoire familiale en Algérie, c’est un autre retour aux sources, en Nouvelle-Calédonie cette fois, qui fonde ce nouveau roman sur l’héritage colonial du XIXe siècle.
Demeurée une dizaine d’années en métropole après y avoir fait ses études, Tass revient définitivement dans sa Nouvelle-Calédonie natale à cause d’une rupture amoureuse. Ses fonctions de professeur dans un lycée l’amènent à se préoccuper de l’absence de deux de ses élèves, des jumeaux kanaks dont elle soupçonne qu’ils n’ont pas la vie facile. Son intérêt pour eux va lui faire croiser le chemin d’un mystérieux groupe indépendantiste, oeuvrant secrètement à ce que ses membres appellent « l’empathie violente ». Par de petits gestes symboliques reproduisant la dépossession – par exemple s’introduire dans une maison pour y déplacer des objets –, ils comptent semer le trouble dans l’esprit des Blancs pour qu’eux non plus ne se sentent plus tout à fait à leur place.
Cette première partie du récit servant à installer notre compréhension de la société calédonienne d’aujourd’hui, un monde stratifié aux possibilités limitées, figé dans la répétition sans fin des mêmes histoires familiales entre groupes et clans en mal d’identité depuis que les traditions millénaires se sont dissoutes dans les mille nuances séparant blancs-blancs, blancs-autres, purs-métis et autres variantes – pour faire simple, « disons que si tu vivais en tribu, tu étais kanak. Et si tu faisais partie du colonat, quel que soit ton métissage, on te comptait parmi les Blancs » –, l’on en vient naturellement, comme Tass qui ignore tout de cet ancêtre qui fut le premier de sa lignée à mettre un pied sur le « Caillou », à se poser la question du é qui l’a façonnée.
Recourant à la magie des lieux, puisque, conformément aux croyances kanak, ceux-ci sont habités par les esprits des morts, l’auteur tire parti d’une chute de Tass dans un trou d’eau pour faire surgir les images de son ancêtre bagnard et, à travers lui, l’histoire de la colonisation de l’île par les Français. Au volet politique et social succède donc un aussi intéressant versant historique, dans une mise en scène que l’on pourra trouver, au mieux d’une liberté audacieuse, au pire d’autant plus brouillonne que vient s’y glisser, comme si besoin était pour l’auteur de se justifier, un chapitre sur la genèse du roman, sur les raisons de son écriture et sur les recherches afférentes. Il est surtout l’occasion d’expliquer les résonances entre les différentes histoires de colonisation et leurs mêmes héritages, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie qui n’est rien à sa famille, ou de l’Algérie qui en est le berceau.
Documenté et réfléchi, juste et fouillé dans ses personnages, enfin profondément instructif et intéressant, le récit pourra toutefois faire regretter que l‘élan politique l’y emporte sur le souffle littéraire. Tout à son sujet de la complexité post-coloniale, Alice Zeniter signe ici un ouvrage convaincant et brillant sur le fond, peut-être moins sur la forme.
Créée
le 23 févr. 2025
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