Non il ne sera pas question de démocratie ici, seulement d'un problème qui sous-tend ce petit bouquin et qui obsède notre auteur : alors que le régime actuel devient particulièrement instable avec trois forces politiques majeures mais non majoritaires, comment peut-on arriver à prendre des décisions tranchées, incontestables et absolues ? Raphaël Doan a trouvé la solution : ça sera le référendum !
Puisqu'il ressort habituellement des enquêtes d'opinion qu'une majorité de Français voudrait réduire l'immigration, et pour monsieur Doan qui je suppose a aussi un problème avec l'immigration (j'en veux pour preuve que ce thème a parcouru quelques uns de ses anciens bouquins), la solution est d'autant plus simple et séduisante à formuler : on ne vend pas ça comme un vulgaire raciste qui déteste les noirs et les arabes mais on se drape du joli manteau de démocrate pour expliquer finalement que ça serait bien de reproposer des référendums sur des sujets centraux qui "intéressent vraiment" les Français (selon ces mêmes enquêtes d'opinion tout à fait neutres il va sans dire). Et à la fin des fins on ne parle jamais de démocratie ou pire on crée de la confusion en fabriquant une fausse opposition entre démocratie directe et démocratie participative, je vais y revenir. Dans tous les cas, le titre est trompeur et si vous vous attendez à un vrai plaidoyer de défense de la démocratie je vous conseille vivement de vous ménager la lecture de ces 100 pages.
Ca commençait pourtant bien, avec un rappel salvateur de la part de l'historien :
On dit souvent que notre démocratie est en crise. On se trompe : nous ne sommes même pas en démocratie.
OUI ! Nous ne sommes pas en démocratie ! Est-ce que c'est grave ? Chacun estimera à sa guise si c'est aux gens de décider de leur propre vie ou à une élite éclairée de prendre les décisions idoines pour la société. C'est en vérité le problème central qui a parcouru depuis 2500 ans la philosophie politique occidentale depuis Platon et Aristote. J'estime pour ma part qu'un individu est le meilleur juge de sa propre vie donc je tends logiquement vers une position pro-démocratique. Et j'en ai bouffé de la littérature sur la démocratie ! Alors ouvrant le court bouquin de monsieur Doan, je n'attendais pas grand chose sinon des développements sommaires sur des thèmes et problèmes classiques que j'avais déjà parcouru. Et malheureusement cette maigre attente ne fut pas rempli déé cette première phrase. Car en réalité Raphaël Doan en défendant à de multiples reprises ce qu'il appelle la "démocratie directe" entend surtout par là l'usage par le Législateur du référendum. Est-ce que la démocratie est réductible au référendum ? Pour Doan, très certainement - et dans des modalités circonscrites car il rejette pour des raisons superficielles le RIC - j'estime que c'est une conception étriquée de ce que la démocratie peut représenter.
Il en arrive à cette conclusion parce que le postulat de départ est complétement vaseux, postulat que je paraphrase ici : "la démocratie est le fait pour le peuple de choisir directement les lois" (p. 10)
Or gouverner, et je pense que Doan n'y est pas étranger du moins je l'espère, ce n'est pas que se choisir des lois, c'est organiser une istration, c'est définir et voter un budget, c'est prévoir tous les aléas que traversent une société, c'est régler des contentieux entre citoyens ou groupe de citoyens, c'est définir une conduite de politique étrangère... La politique ne se réduit pas qu'à voter des lois.
Toujours est-il que ce postulat est bien formulé pour ce que Doan veut développer dans ce bouquin : défendre l'usage du référendum. Estimer que la démocratie se résume pour le peuple à choisir les lois c'est effectivement promouvoir le référendum. Alors je n'ai aucun problème avec ça, ça peut être un bon outil, est-ce le seul ? Selon Doan certainement qui ne cache pas son exaspération pour ce qu'il appelle la "démocratie participative", qu'il oppose à sa "démocratie directe" (donc au référendum) et qui renvoie ici aux divers procédés qu'ont expérimenté les divers gouvernements macronistes : grand débat et convention citoyenne tirée au sort. Je ne comprends pas cette fausse opposition surtout quand c'est pour décrédibiliser ces processus qui ne me semblent pas mauvais en soi. Raphaël Doan explique, je cite :
En outre, les conventions citoyennes et les autres formes de démocratie participative sont facilement manipulables. Les citoyens tirés au sort sont formés, encadrés, guidés par des experts choisis par les organisateurs. On leur présente certaines informations plutôt que d'autres. On oriente leurs réflexions vers telles ou telles conclusions. Comme les débats s'y font à peu près en vase clos, puisque personne ne s'y intéresse, la délibération sincère et ouverte y est nulle.
Comment peut-on écrire ça et ne pas se rendre compte que tout ce qui est écrit vaut également pour le référendum ? Un référendum est tout aussi facilement manipulable par les médias. ces mêmes médias qui leur présentent certaines informations plutôt que d'autres. Des médias qui orientent la réflexion des citoyens vers telles ou telles conclusions. Toutes les critiques exposées valent pour le référendum. Mais je n'estime pas que parce que ces critiques sont applicables au référendum alors ce dernier serait un outil inefficace. Raphaël Doan lui, par mauvaise foi ou par superficialité, ne prend pas cette peine, il a jugé que ces procédés étaient mauvais par nature quand bien même ces conventions citoyennes et grand débat, pour quiconque s'étant intéressé un minimum au sujet, n'étaient absurdes et inutiles que parce que le pouvoir politique l'ont organisé comme tels. Ce n'était que de la poudre aux yeux et non de vraies institutions démocratiques.
Le age sur la proposition de l'extension du champ du référendum (et donc la remise en cause de l'article 11) ainsi que la proposition de lancer des référendums à l'initiative d'un quart des députés de l'AN avec en parallèle la réprobation du RIC, m'a particulièrement fait rire tant ça en dit long sur les intentions de l'auteur.
En définitive, ce livre ne vaut pas la peine d'être lu. On y apprend rien, on nous bourre le choux avec de faux concepts et développements bancals, tout ça pour finalement, et je le suspecte, défendre la réduction de l'immigration, qui - et Raphaël Doan est ici lucide - ne era pas par la politique du RN à l'Assemblée nationale, mais par un moyen plus vicieux qui se drape des vertus de la démocratie : le référendum. Pour finir, m'adressant à l'auteur, je ne ferai que le citer lui-même (p. 105), si c'était pour défendre une position anti-immigrationniste :
Mais si l'on tient cette position, il faut la défendre sincèrement, sans se revendiquer de la démocratie.
P.-S. : ça fait quelques mois que les éditions és composés nous gratifient de bouquins tout à fait inutiles et idiots - oui je cible tout particulièrement le bouquin de Louis Sarkozy. J'ai toujours trouvé cette maison d'édition ambivalente mais il y a encore quelques mois elle publiait des bons ouvrages de vulgarisation historique (je pense aux livres de monsieur Anceau notamment). J'espère que l'éditeur corrigera rapidement le tir.