Grands espaces kirghizes et sibériens, montagnes tibétaines, Afrique subsaharienne et Amérique centrale : après vingt ans à arpenter le monde au plus près de ses espaces encore sauvages, à pied, à vélo, à cheval, en voyage ou lors de missions de développement international, Clara Arnaud a posé ses valises dans les Pyrénées. Dans ces montagnes dont, comme partout où elle e, elle s’est attachée à s’imprégner, elle observe l’explosive confrontation entre l’ours et les éleveurs. Ici, la symphonie pastorale s’est faite chant de guerre…
Question sensible, la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées déclenche toutes les ions, la violence s’invitant volontiers dans l’affrontement de deux positions irréconciliables : d’un côté, les anti-ours, qui crient à la confiscation des pâturages d’estive par ce prédateur friand de leurs brebis ; de l’autre, les défenseurs de la vie sauvage, de l’écosystème et de la biodiversité, qui dénoncent l’hystérie des éleveurs et l’absence de dialogue pour la mise en place de protocoles de cohabitation.
Appelée en renfort du programme de réintroduction pour étudier finement le comportement des ours, leurs relations à leur habitat et leurs modes de prédation sur les troupeaux, la jeune éthologue Alma en fait bien vite les frais, lorsque sabotages, insultes et menaces, et même commandos de chasseurs, s’en prennent à elle et à ses longues opérations d’observation. Habile à se fondre dans l’âpre et splendide écrin de la montagne, l’animal demande patience et longueur de temps dans son approche, toutes choses dont ne disposent guère ses défenseurs face à la colère et à la détermination de leurs opposants. Des opposants dont, sans juger, le récit permet de comprendre le drame, au travers notamment des déboires de Gaspard, un berger tentant désespérément de concilier le respect des ours et la sécurité des près de neuf cents brebis, que, pour le compte de différents éleveurs, il emmène estiver toujours plus en altitude, dans des coins de plus en plus inaccessibles, en raison des pâturages desséchés par le dérèglement climatique.
Un drame s’est produit l’année précédente, dont le souvenir hante Gaspard jusqu’à lui faire redouter ce nouvel été, seul avec chiens et brebis dans les alpages. Cette ombre sur laquelle s’interroge le lecteur ajoute au climat d’incertitude et de prescience de nouveaux incidents susceptibles de dégénérer rapidement. Et, pendant que là-haut, tout à leurs tâches incessantes dans une nature prégnante, somptueuse et implacable, Alma et Gaspard espère pour l’une, redoute pour l’autre, la rencontre avec l’ourse noire qu’ils savent rôder dans les parages avec ses petits, l’agitation d’en-bas dans la vallée ne cesse de faire monter le huis clos en pression. A cette tragédie moderne des derniers souffles de vie sauvage « sur une portion congrue d’un territoire partout anthropisé », se mêle, en un rappel historique de ce que fut la relation de l’homme avec les ours jusqu’à leur quasi disparition en , une dernière trame narrative : l’histoire de Jules au tournant du XXe siècle, jeune et pauvre montagnard fier de son audacieuse capture, dans sa tanière-même, d’un ourson qui, une fois dressé, lui offrira la vie itinérante de ces montreurs d’ours si en vogue à l’époque.
Placé sous l’égide du poète arménien Hovhannès Chiraz avec ces vers qui lui servent de titre et d’excipit : « Nous étions en paix comme nos montagnes / Vous êtes venus comme des vents fous. / Nous avons fait front comme nos montagnes / Vous avez hurlé comme les vents fous. / Éternels nous sommes comme nos montagnes / Et vous erez comme des vents fous », ce roman au style quand même assez plat a pour lui la sincérité, l’intelligence et l’empathie de son approche holistique d’un sujet et d’une région dont on sent l’auteur pénétrée. La guerre de l’ours a bien lieu et Clara Arnaud s'en fait ici le reporter.
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