De beaux lendemains
7.8
De beaux lendemains

livre de Russell Banks (1991)

Histoire d'un drame

Retour de lecture sur “De beaux lendemains” un roman écrit par l'américain Russel Banks et paru en 1991. Ce récit fictif s'articule autour d’un drame qui a eu lieu à Sam Dent, petit village dans l’état de New York, au cours duquel une quinzaine d’enfants meurent lorsque leur bus scolaire quitte la route et termine sa course folle dans une ancienne carrière remplie d'eau gelée. Un drame qui a eu un impact énorme dans la communauté formée par les habitants de ce village et qui a transformé à tout jamais leur vie. Il nous est raconté par quatre narrateurs fortement impliqués et figures importantes du village. Il y a d’abord Dolores Driscoll, la conductrice de l’autobus qui connaissait toutes les victimes et leurs familles. Viennent ensuite Billy Ansel, un père inconsolable qui a perdu deux de ses enfants, puis Nicole Burnel, une jeune fille très populaire qui avait la vie devant elle et qui se retrouve handicapée, privée de ses jambes suite à l’accident, et enfin pour finir un avocat New-Yorkais Mitchell Stephen qui trouve là une affaire dans laquelle il pourra s’investir pour trouver des coupables et les faire payer. Les versions du drame, tel qu’il a été vécu par chacun des narrateurs, se succèdent et on a ainsi un descriptif détaillé de son déroulement, cela avant et après l’accident. On découvre par ces témoignages comment fonctionne cette communauté un peu repliée sur elle-même, quelles sont les relations entre les différents protagonistes et les détails de leur vie intime.


La très grande force de ce roman réside dans la qualité avec laquelle sont construits les différents personnages et leur psychologie. Il nous montre avec énormément de brio, l’impact que ce drame a eu, et comment celui-ci a transformé ces personnes pour leur donner encore plus de profondeur, de force et de lucidité. Au-delà du portrait général de chacun, Russel Banks creuse au plus profond de chaque personnalité et cherche aussi à nous montrer ce qu’il y a au-delà des apparences, l’humanité la plus profonde de ces gens qui sont devenus malgré eux des objets médiatiques. En creusant on s'aperçoit qu’il y a encore d’autres drames, d’autres blessures, d’autres rancœurs et blessures qui impactent lourdement ces parcours. Cette histoire est donc aussi un moyen pour Russel de critiquer indirectement la société américaine qui se jette sans réflexion sur les affaires médiatiques traitées sans nuances et qui cache ses failles derrière des attitudes de façade.


L’autre point fort réside dans la qualité de la description du décors, du contexte et plus généralement de l’ambiance générale dans cette région isolée au climat glacé, perdue dans le parc des Adirondacks. Russel nous montre sans complaisance l’emballement médiatique et l’arrivée des profiteurs en tout genre avec cette meute de journalistes qui se précipitent pour décrocher le scoop, ou ces avocats qui flairent le bon coup pour un procès lucratif. La question semble posée de la responsabilité de ce drame, Dolores roulait-elle trop vite ? Les gardes-fous étaient ils insuffisamment solides ? Le plan d’eau aurait-il dû être asséché ? On pourrait croire qu’on s’oriente vers une histoire de procès, mais ce n’est absolument pas le but de l’auteur. Tout cela n’est qu’un prétexte pour nous raconter une histoire profondément humaine. Comme le montre le caractère ironique du titre du roman, ce qui intéresse l’auteur, c’est comment évolue cette communauté dans cette ambiance particulière, et comment ce drame, avec la douleur psychologique extrême qu’il inflige, transforme la personnalité de chacun et ensuite leur parcours, suivant la nature et le degré de leur implication.


Une histoire qui a été adaptée au cinéma avec beaucoup de talent par le réalisateur Atom Egoyan en 1997 avec un film éponyme qui a obtenu le Grand prix du jury à Cannes. C’est une adaptation très fidèle et particulièrement réussie alors que le sujet était loin d’être facile à traiter. Le livre est lui très beau, écrit de manière très simple, avec beaucoup de pudeur. La fin peut donner l’impression que le roman se termine en queue de poisson, surtout si l’on attend un dénouement juridique à l'américaine, mais c’est tout le contraire. Elle est d'une grande intelligence, d’une grande puissance et laisse en nous une tristesse diffuse qui nous marque longtemps. C’est un très grand roman.


_______________________________

"D’ailleurs, les gens de Sam Dent ne sont pas uniques. Nous avons tous perdu nos enfants. Pour nous, c’est comme si tous les enfants d’Amérique étaient morts. Regardez-les, bon Dieu – violents dans les rues, comateux dans les centres commerciaux, hypnotisés devant la télé. Dans le courant de mon existence, il s’est é quelque chose de terrible qui nous a ravi nos enfants. J’ignore si c’est la guerre du Viêt-nam, la colonisation sexuelle des gosses par l’industrie, ou la drogue, ou la télé, ou le divorce, ou le diable sait quoi. J’ignore quelles sont les causes et quels sont les effets ; mais les enfants ont disparu, ça je le sais. Alors, essayer de les protéger, ce n’est guère qu’un exercice complexe de refus. Les fanatiques religieux et les superpatriotes, ils tentent de protéger leurs gosses en les rendant schizophrènes (...); les classes moyennes attrapent ce qu’elles peuvent acheter et le transmettent, tels des bonbons d’Halloween empoisonnés ; et pendant ce temps, les Noirs au cœur des villes et les Blancs pauvres au fond des cambrousses vendent leurs âmes par convoitise de ce qui tue les gosses de tous les autres en se demandant pourquoi les leurs prennent du crack."


10
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le 7 avr. 2025

Critique lue 5 fois

Daniel SANDNER

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