« La pensée en danger » (tome 2) ne m'est pas avant tout apparu comme un essai à propos de la gestion du mode pensée de notre société et, plus particulièrement, de son Ecole publique. Je l'ai davantage reçu comme un pamphlet, au ton polémique, violent et agressif qui prend essentiellement pour cible ce que l'auteur appelle les ‘pédagogistes' et un de ses représentants, Jean Houssaye à qui on prête (un peu facilement, peut-être) la paternité de la défense d'un changement de paradigme dans l'enseignement qui voudrait imposer le triangle pédagogique Elève (acteur) – savoir- expérimentation en lieu et place du triangle Maître – savoir – élève (récipiendaire).
Cela étant posé, j'ai lu avec attention, parfois compréhension et sympathie, parfois révolte et rejet, les assertions de l'auteur qui ont le mérite de promouvoir une réflexion et une relecture des pratiques pédagogiques qui ont été les miennes durant ma carrière, celle-ci ayant débuté en 1970 alors que déjà étaient prônés dans le système scolaire belge les ‘travers' et les ‘illusions impossibles à réaliser' que dénonce l'auteur, Jacques Ponnier.
Comme souvent dans ce genre d'écrits, l'auteur, par conviction sans doute, se laisse aller à des outrances et des généralisations qui réduisent les enseignants et l'Enseignement à des caricatures bien pauvres à côté des réalités que j'ai pu vivre durant tant d'années.
Peut-on entendre sans suspecter une généralisation abusive une idée telle que : « Ces ‘pédagogistes', disciples de Freinet et de Montessori, détestent ceux que l'on nomme les bons élèves. » ou encore ettre sans plus de nuances l'idée de la suprématie d'une méritocratie si souvent prônée par ceux qui n'ont donné cours qu'à des élèves qui ne connaissaient pas, ou si peu, de difficultés scolaires, sociales et familiales. Pour ceux qui ont tâché d'accompagner des élèves cabossés de la vie dans la construction d'un savoir et, à travers elle, la construction de citoyens pouvant trouver leur place dans une société juste, il est dur d'ettre qu'on puisse encore affirmer sans plus de nuances que « Les inégalités scolaires relèvent pour une grande part des différences de mérite et non des différences de statut, ce qui les rend au moins partiellement légitimes. »
Mais je le répète, la prise de parole d'un auteur tel Jacques Ponnier a le mérite d'ouvrir, j'ose l'espérer, un espace de réflexions échangées permettant à chacun de nuancer ses positions extrêmes et de trouver un équilibre en dehors de tout absolu. Son écriture, le plus souvent, est assez compréhensible, même pour qui n'aurait pas étudier et pratiquer les sciences de l'éducation (appellation qu'il réfute, l'auteur n'aimant pas le caractère scientifique attribué, injustement à ses yeux, à des essais, tentatives, recherches et balbutiements qui ne méritent pas qu'on attribue à la démarche les faisant naître un label scientifique). Et si on aborde ce livre avec cette ouverture d'esprit, on y découvre, effectivement, un essai qui a le mérite d'exister et, en principe, de ne laisser personne indifférent.
Je recommande donc la lecture de cet ouvrage. Il est à remarquer, par exemple, que la position de l'auteur n'est pas la trop fréquente classique tentative d'évitement du changement qui se résume par la phrase si souvent entendue en formation continuée du monde pédagogique : « Mais tout cela, on le fait déjà, on l'a toujours fait ! ». Il y a, de la part de Jacques Ponnier, de vraies prises de position de rejet, regret à tout le moins, qui dénonce, en argumentant sa position, la modification des pratiques qui se fourvoient, à grands frais, dans un enseignement qui ne forme plus l'élève et appauvrit le potentiel de notre civilisation. Telle est la position, réfléchie, de l'auteur. En présence d'un tel travail de remise en cause, l'honnêteté intellectuelle se doit de ne pas nécessairement tout accepter comme ‘paroles d'évangile » mais de tout er au crible d'une confrontation honnête des expériences de chacun.
Avec prudence, recul et réflexion, il y a là un terrain ouvrant à une recherche pouvant viser une plus grande efficacité, voire efficience, dans la formation de nos têtes blondes – ou pas -, le tout dans un vrai souci de servir, à la fois l'identité profonde de chaque individu et la richesse fondatrice d'une société multiculturelle qui doit se vouloir collective et capable de s'ouvrir à tous et au service de tous. Indéniablement, le travail de l'auteur est une très belle porte d'entrée en réflexion et, à ce titre, Jacques Ponnier nous offre là un document d'utilité publique. A nous de le saisir et de nourrir l'à-venir !
Merci à Librinova qui m'a permis de découvrir ce livre et de réfléchir à ce que pourrait être un Enseignement juste et visant l'excellence.