Festival de Cannes, Jour 6

Festival de Cannes, Jour 6

19 mai 2025 (Modifié le 12 mai 2025)

5 minutes

Des claps, des claques, une traque et des lacs.

Dans un univers aussi coupé de la réalité que le Festival de Cannes, on oublie très rapidement les repères du commun des mortels. C'est en arpentant la Croisette et en constatant qu'elle est particulièrement bondée qu'on prend conscience qu'on est le week-end, un temps fort de la quinzaine où la ville se transforme en une sorte de carnaval géant, et où le moindre trottoir se transforme en tapis rouge avec influenceuses, photographes et bandes d'amis sur leur 31, dont un BG arborant non sans fierté une écharpe "Mr Elégance 2025".


La journée va être calme, je ne verrai que 4 films du fait de leur longueur, dont les trois premiers dans la même salle, le fameux Grand Théâtre Lumière. Un spectateur demande d'ailleurs à l'issue de la première projection s'il ne peut pas rester dans la salle, vu qu'il a billet pour la séance suivante exactement à la même place, mais on lui refuse évidemment ce privilège. Après tout, rien de tel que de se dégourdir les jambes, rouvrir son sac, er les détecteurs de métaux et refaire la queue pour assimiler le film avant d'en commencer un autre.


Je commence donc la journée avec À bout de souffle de Jean-Luc Godard en 1960. Un petit plaisir de cinéphile, qui aligne les anecdotes d'un tournage pas comme les autres, et qui finira par révolutionner le cinéma. Le film, un peu mécanique dans sa linéarité, a le mérite de ne pas se prendre au sérieux, voire de poser un regard assez tendre sur les aphorismes pontifiants du génie, et de capter l'euphorie spontanée d'un bouillonnement d'idées. Il serait tout de même assez drôle de voir les tenanciers de la mémoire cinématographique s'offusquer d'un tel projet ou d'y voir un blasphème, puisqu'il reprend avec le même enthousiasme l'amour du cinéma.


Sortie le 8 octobre


En noir et blanc, tous les selfies font des génies


J'enchaine donc avec Possession, mais semble surtout possédée par l'esprit cabotin de Nicolas Cage. J'adorerais discuter avec Hong Sang-Soo, cinéaste de l'épure absolue, et membre du jury, sur son appréciation de ce hurlement vain de 120 minutes.


Et ma dépression ? Tu l'aimes, ma dépression ?


On sort, on rentre dans le GTL, pour le troisième film en Compétition du jour, Bacurau en 2019. L'Agent Secret est un grand film, dans tous les sens du terme. 2h40 d'une densité folle, assez déconcertant dans sa première heure où les récits distincts se déploient sans qu'on comprenne les tenants et les aboutissants, avant une convergence virtuose qui interroge la mémoire, la corruption, le démantèlement de la démocratie et la solidarité entre ceux qui résistent. Le film est clairement exigeant, placé à un horaire difficile (clairement l'heure de la sieste au vu de l'état des rangées autour de moi), mais sa puissance se révèle aussi dans le temps qui suit son visionnage. Espérons qu'il fera son chemin chez les membres du jury, car il mérite d'être placé très haut dans le palmarès.


Allo, le jury ? C'est juste pour me rappeler à votre bon souvenir...


Petit interlude en salle de presse pour écrire. J'entends au-dessus de moi un chuchotement, je lève les yeux et voit un collègue debout, hagard, murmurer qu'il ne trouve plus la place où il était assis. C'est la moitié du Festival et la fatigue commence à se faire sentir.


Je termine la journée en sélection Cannes Première, qui nous permet donc de voir les nouvelles productions des cinéastes que Cannes aime défendre et garder dans son giron. Je voulais à tout prix voir Godland. Thierry Frémaux prend son courage à deux mains avant de prononcer tous les patronymes islandais de l'équipe du film, dont Þorgils Hlynsson et Ida Mekkín Hlynsdóttir par exemple.


Le film, sorte d'OVNI poétique, est une petite merveille. Déroutant, presque non narratif, il suit la vie d'une famille dont les parents sont séparés. Instants du quotidien, activités artistiques de la mère, pèche industrielle du père, vie des trois enfants. C'est très beau, touchant, parfois hilarant, ponctué de séquences surréalistes ou grotesques, de montage d'images presque malickiennes, le tout dans une Islande aux fascinants paysages. Une expérience atypique, qui en ce qui me concerne m'a totalement conquis.


Un film à prendre ou à laisser.


Au programme aujourd'hui : la tradition Wes Anderson, une petite gourmandise de minuit, une diagonale du vide, les arcanes du pouvoir et un couple libre.


Sergent_Pepper

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