Les bons platformers 3D sur PC se font rares, alors quand l'un d'eux débarque en triomphe sur Steam exclusivement, et avec des évaluations en "Extrêmement positives", on finit par inspecter le joujou avec curiosité. Une curiosité qui se transforme en vif intérêt quand on comprend que Yellow Taxi Goes Vroom, de l'aveu même de ses développeurs, repose (en partie) sur un pitch redoutable de simplicité et d'originalité : c'est un jeu de plates-formes où il faut tout le temps sauter... mais sans disposer de touche de saut. Et sans même encore parler de cette particularité de gameplay majeure, le jeu est déjà un joyeux bazar d'influences qui le rend, de base, difficile à décrire. Une chose est sûre, en tous cas : ses créateurs sont dotés d'une solide culture du jeu vidéo, autant que d'une compréhension très fine de ce qui a fait la gloire du genre de la fin des années 90/début des années 2000, époque à laquelle ils rendent ici un vibrant hommage. La direction artistique et le gamefeel entrecroisent ainsi Mario et Sonic : du premier, ils récupèrent l'ambiance décontractée à la Sunshine, du second, les quadrillages de vert et les pointes de vitesse. On ressent l'héritage de Rare dans la structure générale du jeu, qui convoque un grand hub central servant à connecter les entrées vers les différents niveaux, et étant lui-même bourré de secrets à déverrouiller progressivement. Les pages, ou soleils, ou étoiles... sont remplacées par engrenages dispersés en des endroits-clés des niveaux, ou donnés à l'issue de quêtes à objectifs uniques, qu'il s'agit d'engranger pour déverrouiller l'accès à des mondes plus avancés. On joue un taxi, donc évidemment, il y a du Crazy Taxi dedans, avec certains niveaux facticement chronométrés qui nous offrent de ramasser des piétons pour les amener le plus vite possible à leur destination. Et, bien sûr, il y a des pièces, beaucoup de pièces, à collectionner absolument partout ; et pour acheter des chapeaux, tant qu'à faire. C'est le bordel, vous dites-vous ? Oh, que oui.
Le jeu est pourtant d'un abord plutôt classique dans sa structure, en respectant en particulier les préceptes posés par les grands succès de l'ère Nintendo 64 : si on a grandi à cette époque, on ne sera pas déboussolé par la façon de progresser, et on repérera assez vite les très nombreuses références amoureusement posées ici et là, au point certes d'en donner parfois le tournis (je n'ai fait qu'en citer les plus évidentes). Mais cela n'est donc que la partie émergée, l'enrobage qui sert d'écrin au gameplay à proprement parler. Et c'est vraiment dans ce dernier que se situe toute l'originalité de Yellow Taxi Goes Vroom, dont l'aspect enfantin, y compris du titre, se révèle n'être qu'un vernis trompeur. Pas de touche de saut ? Si ce n'était que ça. Notre taxi jaune se manie comme nul autre avatar de jeu de plates-formes avant lui. Oubliez donc ce que 30 ans de pratique du platformer 3D vous ont appris : Yellow Taxi Goes Vroom va vous demander de remettre à plat toutes vos connaissances, d'oublier toutes vos habitudes. Les déplacements se font déjà avec les boutons A (pour la marche avant) et B (pour la marche arrière), accompagnés de la croix ou du stick pour tourner. C'est un peu bizarre, mais à condition d'avoir un peu rodé un jeu de caisses arcade ou un Mario Kart, on prend assez tôt le coup de main. Il faut juste être bien prudent dans les ages étroits où on est entouré de vide, mais en général, le maniement du taxi sur l'axe horizontal devient rapidement une seconde nature. Là où les choses se corsent sérieusement, c'est donc notamment au niveau de la gestion du saut, qui est présent mais sous une forme très novatrice. Comme promis par le pitch, il n'y a en effet pas de touche de saut. Au lieu de cela, une combinaison d'actions complexe, qui demande de bien jauger chaque "décollage" au risque de nous retrouver à trois kilomètres de notre point d'arrivée souhaité. En gros, cela fonctionne ainsi : on démarre un dash, qu'on interrompt aussitôt d'un second appui pour retourner notre taxi comme une crêpe ; c'est dans ce très court laps de temps, pendant lequel le véhicule se retrouve tête en bas, qu'on est également en l'air, à tout juste quelques centimètres du sol, qu'on doit lancer un autre dash, complet celui-là, dans la direction souhaitée. Il faut avoir d'excellents réflexes, en anticipant parfaitement l'endroit où notre dash nous propulsera ; et, plus difficile encore, en anticipant le saut suivant, qu'on réalisera à notre point d'arrivée, dans le cas d'une succession rapide de petites plates-formes en pente (le jeu adore cette configuration), sur lesquelles notre véhicule glisse et qui nous contraignent à une mobilité permanente.
On a l'habitude, dans les jeux à dash, d'avoir un temps de pause ou de ralentissement de l'action pour nous permettre de bien calculer notre trajectoire. Mais pas de ça dans Yellow Taxi Goes Vroom, qui nous demande donc d'être au taquet en permanence, surtout dans les successions de sauts, qui sont légion. Un départ trop tôt ou trop tard, une direction légèrement sur-inclinée peuvent avoir des conséquences dramatiques. Bien souvent, néanmoins, ce ne sera pas la mort : les niveaux étant construits comme des petits mondes ouverts, on se retrouvera ailleurs dans l'open world et on pourra au choix recommencer notre objectif ou partir explorer ailleurs. Néanmoins clairement, le jeu est exigeant, en demandant souvent un duo réflexes/précision sacrément au point. C'est donc ce dernier qu'on se consacrera à améliorer tout au long de la partie, en repérant progressivement la difficulté des différents ateliers (librement accessibles dans l'ordre que l'on souhaite au sein d'un même niveau) pour monter petit-à-petit en difficulté. Une tâche ardue, qui donne d'ailleurs l'occasion de repérer de nombreuses autres petites originalités, parfois contre-intuitives, et qui demandent un certain temps pour être apprivoisées. Par exemple, les rebonds en l'air de notre taxi nous déportent légèrement en arrière à chaque fois. Oh, trois fois rien, quelques centimètres tout au plus, mais ce minuscule recul est pourtant d'une importance capitale, car la petite seconde qu'on e à se retourner doit impérativement se terminer par un retour à la terre ferme si on veut prendre un élan parfois indispensable pour atteindre des points éloignés. Cela ne va parfois pas sans poser quelques soucis de perspective dans l'évaluation des distances, qui rappellent de temps en temps les heures sombres de Sonic CD. Le dash a un temps de recharge d'environ deux secondes, qui doit être pris en compte dans les doubles sauts, régulièrement obligatoires pour atteindre les secrets les plus convoités (même s'il y a parfois des "rails de dash" à la Sonic Adventure, eh). Les plates-formes situées bien plus haut que notre taxi demandent d'emprunter des rampes, sur lesquelles lancer le dash exactement au bon moment pour atteindre la plate-forme visée, sans atterrir ni avant, ni après, ni trop haut, ni trop bas, en prenant en compte une physique très logique mais souvent piégeuse. Les murs peuvent être autant des alliés que des obstacles, en permettant parfois de freiner un élan trop fort ou d'offrir un bref sursaut de hauteur quand on leur dashe "en plein dedans". Et il reste ces pentes, ces foutues pentes raides, sur lesquelles on patine tant qu'on ne peut y rester qu'une seconde ou deux, nous contraignant à enchaîner rapidement les accélérations avec un doigté irréprochable jusqu'à espérer retrouver le plancher des vaches.
Ainsi, Yellow Taxi Goes Vroom, derrière sa présentation toute mignonne et ses lettrages enfantins, est DUR. C'est un peu, comme dirait l'autre, la dark-soulisation du platformer 3D. Mais il est aussi juste. Bon, peut-être pas tout le temps, notamment dans certains ateliers demandant une précision à la limite du coup de chance. Mais en général, ce sont bien la pratique, et une certaine forme d'assurance, qui permettent de maîtriser peu à peu le réduit de mouvements de notre taxi, pour réduire progressivement nos hésitations et acquérir la capacité d'enchaîner rapidement les actions avec une précision croissante. On apprend à se faire confiance, tandis que le nombre élevé de petits objectifs disséminés partout fait qu'on trouve toujours un défi à notre mesure, dont la réussite nous dispense ce petit "confidence boost" qui nous donne envie d'aller nous frotter, ailleurs, à un challenge plus ardu. On éprouve une profonde satisfaction à revenir sur nos pas dans l'un ou l'autre niveau pour dompter une séquence qui auparavant nous semblait infaisable, parce que telle ou telle séquence nous a permis de comprendre une finesse de gameplay qui nous avait jusqu'ici échappé, ou de perfectionner une façon de se déplacer dans une configuration donnée. Cette sensation d'améliorer en permanence notre maîtrise d'un schéma de contrôles très spécial, mais pourtant très bien étudié, est particulièrement grisante et constitue l'une des principales qualités du game design de ce jeu, qui se révèle au fil des heures très pointu, avec une excellente courbe de progression soutenue par un level design ouvert d'une qualité globalement excellente, tout en densité, qui renvoie, pour les citer de nouveaux, aux meilleurs jeux Rare de l'ère 64-bit comme Banjo-Kazooie ou Conker's Bad Fur Day. C'est un jeu rigolo, plein de bonne humeur, avec des jeux de mots idiots et un scénario complètement débile (on y croise Mario et Elon Musk) qui semble viser un jeune public vu de loin, mais dont la finesse de conception le destine en réalité à un public de boomers grincheux, qui seront autant ravis par la quantité de références aux jeux de leur enfance, que par l'exigence d'un gameplay carrément novateur, à même de surprendre les baroudeurs les plus endurcis du genre (et de les satisfaire par une durée de vie très complète, parfaitement comparable à ce qui se faisait à l'époque). Après, on peut quand même le faire essayer à son gosse : prévoir, dans ce cas, une distance de sécurité avec l'écran d'environ 8 mètres.