Attention, spoilers.
J’avais découvert The Last of Us Part I par la série avant de jouer au jeu. Ici, c’est évidemment l’inverse : je me spoile la série en y jouant. Je ne me sens vraiment pas bien en terminant The Last of Us Part II, car il a puisé en moi une immense quantité d’émotions, de manière violente, voire complaisante et dérangeante.
À chaud, il m’est difficile de dire si ce jeu a un véritable propos, si ce n’est une forme de nihilisme total. Là où le premier opus construisait un récit teinté d’espoir (aussi sombre soit-il), il semble que l’équipe de Naughty Dog ait voulu absolument déconstruire l’épopée initiale d’Ellie et Joel pour en faire un récit de vengeance et de repentance désesprée. C’est un jeu sur la destruction même de l’idée que l’humanité puisse faire société. Les scénaristes insistent sur ce point : face à l’adversité d’une épidémie, seul le tribalisme compte. Entre les Fireflies, les Wolves, les Seraphites ou les Crotales, le monde n’est plus qu’un vaste chaos. On comprend vite que le projet d’Isaac, qui cherche à apaiser les conflits pour reconstruire une société, est une illusion. Toutes ces factions veulent certes la paix, mais uniquement à leur manière, même si cela implique la destruction de l’autre.
En ce sens, le génie du jeu est de permettre au joueur d’incarner deux personnages supposément ennemis, à travers lesquels on réalise rapidement que chaque camp n’est que l’expression de luttes de pouvoir et de querelles intestines. Un aspect spécialement pervers de ce jeu, c’est de nous faire incarner deux personnages qui, finalement, pourraient partager la peine commune de la perte de la figure paternelle. J’ai longtemps imaginé qu’Ellie et Abby comprendraient qu’elles ne sont finalement pas si différentes. Mais non, tout n’est qu’incompréhension et violence.
Si je ressors totalement lessivé de cette expérience, c’est parce que The Last of Us Part II est thématiquement très lourd, mais aussi parce qu’il m’a fait accomplir des actions que je n’avais pas envie d’exécuter, sans me laisser le choix. Il est bon de rappeler que The Last of Us Part II est un “jeu couloir” qui ne vous laisse aucune liberté : vous devez avancer et faire exactement ce que Neil Druckmann et son équipe ont décidé. Rien de plus. À une époque où de nombreux jeux vidéo proposent différentes fins et permettent au joueur de faire des choix aux conséquences variées, TLOU2 est un récit linéaire que l’on suit à la lettre. Je ne dis pas que c’est un défaut, car je savais à quoi m’attendre avant de lancer la partie. Mais le jeu semble presque prendre un malin plaisir à imposer ces choix et à faire vivre des scènes particulièrement choquantes (je pense notamment à l’exécution de Nora ou à la scène finale sur la plage). Je ne voulais plus appuyer sur Carré, et pourtant, j’y ai été obligé. Alors oui, c’est un moment fort du jeu vidéo, mais aussi terriblement malsain. Suivre la vie d’Owen, Mel et Nora tout en sachant qu’ils vont tragiquement mourir est particulièrement pénible, surtout lorsque le jeu s’amuse à créer de soi-disant saynètes légères et amusantes. Neil Druckmann aime (trop) le sarcasme.
Cependant, si l’on accepte ce contrat tacite du “jeu d’auteur”, The Last of Us Part II est une œuvre exceptionnelle dans sa capacité à raconter une histoire, notamment grâce à son level design tout simplement époustouflant. La ville de Seattle est à couper le souffle. Son aspect post-apocalyptique crée un mélange unique entre réalisme et fantastique. On a l’impression de se retrouver dans ces photographies documentaires de la “Détroit abandonnée”, ce qui confère une ambiance puissamment nostalgique et romantique à la ruine.
Même si la partie à Jackson sous la neige est apaisante, pour moi, le jeu commence véritablement lorsque Ellie arrive en bateau à Seattle le troisième jour. La ville submergée sous la pluie est l’une des plus belles expériences visuelles qu’il m’ait été donné de voir, et l’arrivée à l’Océanarium sous la tempête est absolument grandiose.
Toute la très longue séquence d’Abby est celle qui m’a le plus marqué. J’ai trouvé la construction de ce personnage particulièrement brillante, au point que j’ai eu du mal à réincarner Ellie à la fin du jeu.
À mon sens, le jeu aurait pu se terminer à la fin du troisième jour à Seattle. L’idée de condenser l’essentiel du récit sur trois jours reste un coup de maître magistral. Là où le premier opus était basé sur le temps long d’un grand voyage et d’une relation qui s’y construit, TLOU2 veut accentuer les conséquences des actions des personnages sur un temps court. Après la destruction de Haven (scène mémorable par ailleurs), tout était en place narrativement pour montrer que ces factions humaines étaient vouées à l’autodestruction. L’histoire aurait pu en rester là. Toute la partie en Californie me semble terriblement superflue. Elle ne fait que répéter ce qui s’est é auparavant, mais cette fois du point de vue d’Ellie.
Et pourtant… c’est un jeu absolument marquant et traumatisant, qui dépeint de manière impeccable les aspects les plus sombres de l’humanité. J’ai l’impression d’assister à l’Opus Magnum du genre post-apocalyptique. Je ne sais pas si j’y reviendrai un jour, et je ne sais pas encore si je regarderai la série. Il me faudra du temps pour digérer cette expérience.